Les Joies du Retour

Le retourSaynète Lorraine

UNE PAYSANNE PARLE :

… Contente ? C’est ben sûr que j’suis contente que mon homme soye rentré, mère Bagard. Comme tout le monde, ma fi !… Oh ! on est content d’un côté et pas content de l’autre. ça a été trop long, la guerre là ! les hommes ont pris de mauvaises habitudes, le mien comme les aut’s, oye, oye, oye !

Ça n’a pas été tout seul pour le r’mett’ au pas. Les premiers jours, on était au septième ciel, on redevenait des jeunes mariés, mais on n’peut pas toujou penser aux bêtises, l’ouvrâche commande.  

PoiluMon Mossieu qui était adjudant, sous-officier presque officier, comme il dit, aurait enduré que je lui serve d’ordonnance, que je le brosse, que je l’astique. En fait d’astiquage, j’te l’ai asticoté comme il faut, va ! « Penses-tu, que je lui ai dit, que nous avons trimé comme des mercenaires, les gamins et moi, pendant que t’faisais l’mirliflore, et qu’ça va continuer « … Oh ! ne le plaignez pas, allez, mère Bagard !… moi qui l’croyais en danger, et qui m’mangeais les sangs, il paraît qu’il n’y a jamais été.

Soldat 14-18Toujou aussi veinard ! N’y a qu’à voir comme il est revenu : une figure de prospérité ! Et si j’vous montrais son dos, donc, il est gras comme un cochon d’lait. Ah ! il ne s’en est pas fait, allez ! Il a tout juste été évacué une fois pour un clou en bas des reins, sauf votre respect. Une maladie de santé, quoi ! «  Non, non, que j’lui ai dit, maint’nant qu’ t’as été dire bonjour à tout l’monde, que t’ t’es montré partout, que t’as bu un verre ici, une goutte là, et qu’ t’as raconté tes campagnes, rengaine tes compliments, mon fi, dis à r’voir à ta belle belle tunique de sous-officier presque officier, et vas-y casquette, j’ te passe la suite, les bêtes, la charrue et tout l’ diâble et son train. »

Si j’ l’avais laissé faire, mais nous allions à la ruine, mère Bagard !… Oh ! il n’faut pas longtemps !… Des exigences, oye, oye, oye ! une nappe sur la table, une serviette au cou pour le tous les jours, une descente de lit (j’ vous d’mande un peu !) et des chemises donc, et des chaussettes : il en aurait changé autant qu’un évêque en aurait béni. Il voulait se faire la barbe tous les jous : « C’est bon, t’es assez beau comm’ ça, que j’ lui ai dit, j’aim’ bien quand ça rape, moi d’abord.

BainEt il se lavait, et j’ te lave, et j’ te r’lave, des pieds à la tête et d’ la tête aux pieds. Il n’en finissait pas ! et un’ châouée dans la cuisine !!! « On t’a changé en canard, donc ? que j’ lui disais. Ben si t’es si sale que ça, t’ n’as qu’à travailler un peu plus fort, te sueras un bon coup et te s’ras propr’ tout d’suite. » Un pacha, que j’vous dis, mère Bagard, un vrai mylord anglais.

Et pis, c’n’est pas tout. Maginez-vous qu’il s’mettait à être grognon, à ne trouver rien de bien : il râminait tout l’temps, et sur tout l’monde ; lui qui était si rigolo avant la guerre. « Eh ! ben, si c’est pour nous faire la vie dure que t’es rev’nu, t’aurais pu rester là où qu’t’étais, t’ais, que j’lui ai dit, nous étions ben tranquilles sans toi. »

Le coup-ci, j’ai cru qu’il allait m’avaler tout cru ! Le v’là qui s’met à m’faire une scène de jalousie à cause de la photo ousque j’suis r’tirée avec les sous-offs du génie qui avaient leur popote chez nous, en criant comme un perdu : « Dis donc tout d’suite que j’ te gêne et que j’ai eu tort de ne pas être tué plusieurs fois pour te faire plaisir. » Ma fi ! moi, au lieu de m’ fâcher, ça m’a fait rigoler, mère Bagard. « Eh ! ben, t’as mis l’ nez d’ssus, tiens, que j’ lui ai répondu; au moins comm’ça j’pourrais fair’ la nouba tranquillement, comme te dis, et comme te l’as faite avec toutes les trôleuses de tes cantonnements.

Marraine de GuerreGros bêta ! te m’ prends donc pour un’ beulouse ! J’ vois aussi clair que toi dans ton jeu, va !… Veux-tu que j’ te dise, moi, pourquoi qu’ t’ es d’ si mauvaise humeur ? hein ? Eh ! ben, c’est pa’ c’ que t’ n’ as pas r’çu un’ seule lettr’ depuis trois jours. Car t’ en r’cois, et t’ en écris, des lettr’s, bonté divine ! un vrai ministr’. Il y en a de tout’s les paroisses, des grand’s, des p’tites, des gross’s, des minces… c’est d’ tes copains ?… faut qu’ils n’aient pas grand chose à faire ! et ils s’ mett’nt bien, tes copains. Ils sent’nt l’ôdeur à plein nez… Ah ! t’as des copines aussi ?… Oh ! j’ pensais ben ma fi !… un sous -officier presque officier n’ peut pas rouler sa bosse pendant si longtemps sans faire des conquêtes un peu partout, nemme donc ?

N’ te démén’s pas, va. J’ les connais presque aussi bien qu’ toi, les copines-là, te nous as assez rabattu les oreilles avec ta logeuse de Salonique, ta blanchisseuse d’Italie, ta pâtissière alsacienne, ta cuisinière du dépôt et toutes tes marraines, la vieille, la jeune, est-c’ que j’ sais moi !…

Timbre 1914Je n’ suis pas jalouse, heureusement. Mais cois-moi, va, mon pauv’ drôle, maint’nant qu’ t’ es rentré au bercail, laiss’ le sérail-là tranquille. Si j’ n’y mettais pas le holà, te nous ruin’rais en timbres-poste ! et on a ben d’autr’s dépenses à faire par le temps qui court.

Tiens, J’ te permets d’ leur écrire encore un’ fois, à tes connaissances. (J’ suis gentille, nemme ?) pour leur dire n i ni c’est fini ! Faut êtr’ poli…

MarraineComment que t’ dis ?… te n’oses pas ?… Bon ! alors c’est moi qui vas leur faire la commission aux gaillardes-là, et te verras, elles ne pourront pas s’ fâcher. Ecoutez-voire ça, mère Bagard, si c’est bien tourné. J’ n’ai pas eu besoin du maît’ d’école, allez ! (Elle sort un brouillon de lettre de sa poche et lit à haute voix.)

               MADAME (ou MADEMOISELLE)

La guerre est finie, mon homme est rentré dans ses foyers. Il a repris la charrue et tous ses devoirs d’époux et de père de famille avec plaisir. Vous pensez bien qu’il n’aura plus le temps de cultiver aut’ chose que not’ petit bien. Mais comme c’ n’est pas un ingrat, et qu’ les amies de nos maris sont nos amies, il m’a chargé de vous remercier de toutes les  bontés dont vous l’avez abreuvé pendant qu’il était soldat.
Je n’ vois pus rien d’aut’ à vous dire, sinon que nous sommes tous en bonne santé, que nous attendons un héritier ou deux pour les vendanges, et qu’ nous souhaitons que la présente vous trouv’ de même.
Recevez, Madame (ou Mademoiselle), les saluts d’une épouse heureuse et fidèle et de votre serviteur respectable et honorifique.                                                                                                                  Mélanie BANVOUATTE,                                                                                                                                                     femme reconnue d’Achille BANVOUATTE,                                                                                                                                            ancien sous-officier presque officier.

Famille-nombreusePoste christum.Puisque vous avez eu la bonté de vous occuper du père de mes enfants, si le coeur vous en dit de continuer à être marraine de l’un ou de l’aut’ : du Nestor, de la Delphine, de l’Augusse, de la Dorothée, du Sosthène, ou d’un de ceux que nous attendons pour les vendanges, ne vous gênez pas, vous n’aurez que l’embarras du choix.

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Source : LE PAYS LORRAIN ET LE PAYS MESSIN – Onzième année – 1914-1919 – George CHEPFER, Juin 1919.

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