Condamné, Mort pour la France, Amnistié

Charles GUÉBEL (GEBEL) voit le jour le samedi 8 mars 1884 à Lunéville, cour des Ducs de Lorraine, avec Léopold dès 1698, puis Stanislas Leszczynski, Roi de Pologne et beau-père de Louis XV. Cour où les plus grands esprits du siècle des Lumières se pressaient au château.

Il est le fils légitime de Jacques GUÉBEL, âgé de 47 ans, né en 1836 à Berthelming en Moselle (notre cousin à la 4ème génération) et de Catherine OBERLING, son épouse âgée de 46 ans. A sa naissance, il a pour frères et sœurs : Victorine (née en 1864), Madeleine (née en 1865), Victor « Jacques » (né en 1867), Georges (né en 1870), Joseph (né en 1874), Nicolas (né en 1876), et enfin Marie (née en 1879).

Charles sera Voiturier, ouvrier d’usine, puis Soldat au 273ème R.I. durant la Guerre 14-18. Poilu de France et Poilu d’Orient, on lui attribuera la mention « Mort pour la France ».

Son père Jacques meurt le 26 mai 1889, Charles est seulement âgé de 5 ans. Sa mère Catherine décède à son adolescence le 26 février 1902 à 4h, Charles est âgé de 17 ans.

Dernier né d’une fratrie de 8 enfants, orphelin d’un père qu’il n’a que très peu connu, et récemment de sa mère, Charles, peut-être d’un vif tempérament, commettra quelques bêtises. Ainsi à Belfort, le 12 septembre 1902, il sera condamné pour la première fois à un mois de prison avec sursis pour « coups et blessures ».

Toujours à Belfort, le 9 janvier 1903, Charles est à nouveau condamné à 6 jours de prison et à 500 Francs d’amende, mais pour « contrebande » cette fois.
Il faut savoir qu’en Franche-Comté et plus particulièrement dans le Haut-Doubs voisin de la Suisse, la contrebande est en quelque sorte un sport national depuis des siècles. On passe allègrement tabac, alcool, chocolat et autres produits par les chemins discrets de montagne. Les gentils contrebandiers roulaient toujours les méchants douaniers.

Charles commet son troisième, et dernier, forfait le 24 octobre 1905 :
Attaque nocturne : Le 24 octobre dernier, les nommés Geybel Charles et Kechter rencontraient, à la nuit, M. Lejeune, de Danjoutin, âgé de 62 ans. Sans aucun motif, ces deux individus se jetèrent sur lui et le roulèrent dans le fossé, dans l’espoir sans doute de le dévaliser. Survinrent des passants; les deux malandrins prirent la fuite.
Geybel, 2 mois de prison, Kechter, 1 mois.
(
Source : L’Alsace – Journal Républicain du Territoire de Belfort – Édition du Dimanche 12 novembre 1905 – Troisième Année N°91 – 5 Centimes)

Il est a noter au sujet de cette agression que Marie, la sœur de Charles, était mariée à Armand LEJEUNE; et que Charles était lui-même employé comme voiturier chez Armand LEJEUNE, qui était son patron et dirigeait la société qu’il tenait de son père (l’agressé). Il pourrait donc s’agir soit d’une affaire de famille, soit d’un différend professionnel, qui motiverait, sans pour autant l’excuser, cette agression des deux malandrins.

Il figure dans le recensement effectué en 1906 à Danjoutin – Territoire-de-Belfort en Franche-Comté.
Charles habite alors chez son beau-frère et patron camionneur, Armand LEJEUNE, époux de sa sœur Marie. Il semblerait donc bien que la « pseudo » agression de 1905 soit quelque peu oubliée ou pardonnée; car vu le tempérament « bagarreur » de Charles … je ne l’imagine pas obligé de vivre « sous surveillance » chez Lejeune.
(Archives de Belfort – Recensement 1906 – Page 2/88)

Il n’y a pas d’épouse indiquée au recensement, Charles ayant cependant déjà 22 ans. Pour le moment aucune archive ne peut nous informer d’un mariage éventuel avant guerre.

Il effectue son service militaire, d’une durée de 18 mois à l’époque, du 8 octobre 1906 au 31 mars 1908. Charles est incorporé au 23ème Régiment d’Infanterie Coloniale. C’est un régiment créé le 1er octobre 1902 qui fera la campagne du Maroc de 1908 à 1913. Il est installé à partir de 1907 à la caserne Lourcine au n° 37 du boulevard de Port-Royal dans le 13ème arrondissement de Paris, en face du Val-de-Grâce. Il y reste jusqu’en 1945. Sonnerie régimentaire : « Le 23ème colonial est à Paris« . Elle est jouée à l’arrivée du chef de corps aux cérémonies.

Après l’armée, en août 1908, il habite à La Houssière dans les Vosges – au N° 63 du hameau de Vanémont, hébergé par son frère aîné Victor « Jacques » (Indication de domicile sur sa fiche matricule militaire). Il travaillait alors chez un cultivateur nommé Renard.

En novembre 1908, il habite à Varangéville, en Meurthe-et-Moselle, au n° 5 rue d’Alsace. Il est alors ouvrier d’usine, aux Salines SOLVAY de Dombasle-sur-Meurthe, cité où il déménagera en mars 1909, pour loger au n° 15 Boulevard des écoles.

Du 20 août au 11 septembre 1910, Il accompli une 1ère période d’exercice au 35ème Régiment d’Infanterie de Belfort, dont la caserne est située au 16 avenue d’Altkirch. Puis une seconde du 11 au 27 avril 1912, toujours au 35ème Régiment d’Infanterie de Belfort (90).

Charles est rappelé à l’activité par suite de la mobilisation générale. Il participe à la 1ère guerre mondiale dès le 3 août 1914.
Du début de la guerre jusqu’au 7 novembre 1915, il sera incorporé dans son régiment de réserve. Les régiments de réserve se rattachaient aux régiments d’active, dont ils reprenaient la numérotation augmentée de 200. Le régiment de réserve du 35ème RI était ainsi le 2351ème RI. Il avait le même lieu de recrutement et de garnison, Charles est donc enrôlé au 235ème Régiment d’Infanterie de Belfort.

HISTORIQUE DU 235e RÉGIMENT D’INFANTERIE :

Anciens du 235ème !
Ces lignes sont destinées à vous rappeler les hauts faits du régiment qui, grâce à vous, a acquis des titres de gloire dont il importe de ne pas laisser perdre le souvenir. Certes, la destinée du 235e, a été de connaître de bien pénibles moments car le régiment a combattu sur des théâtres d’opérations où le succès n’avait pas encore couronné nos drapeaux. Il s’est trouvé en Alsace, au cours du sombre hiver 1914-1915 ; et, en Macédoine, il lui a fallu effectuer la rude retraite de Serbie, les durs travaux de défense du camp retranché de Salonique, la pénible marche sur Monastir.

Mais le 235e n’a pas souffert, ni lutté en vain. Il a apporté sa large part à la Victoire finale. Il a « tenu » en Alsace et d’autres, longtemps après qu’il eût quitté la région, ont pu y moissonner les lauriers que le 235e avait semés. Il a combattu en Serbie et, ayant été prématurément dissous, ses successeurs ont connu les heures grisantes de l’offensive victorieuse, la Serbie reconquise, l’écroulement de la puissance allemande dans ces Balkans où dorment actuellement, dans les modestes cimetières macédoniens, tant de braves du régiment.

Ce bref historique a pour but de retracer d’une façon succincte les hauts faits du 235e, ses combats, ses itinéraires. Il s’est aussi donné pour tâche d’expliquer les raisons militaires et politiques qui ont été la cause des opérations auxquelles le régiment a été mêlé. Il permettra de préciser bien des souvenirs en citant des noms de camarades ou de chefs disparus, d’étapes péniblement franchies.

Mais il ne s’agit pas seulement de vous remémorer ce passé, anciens du 235e ! Il faut que vous tous, qui avez participé à cette glorieuse épopée, vous continuiez de vous montrer, dans la vie civile à laquelle la Paix vous a rendus, les bons soldats de la grande cause pour laquelle vous vous êtes si héroïquement battus. Il faut surtout travailler, travailler encore et toujours, chacun dans votre sphère, pour que toutes les épreuves que vous avez subies, dans les tranchées d’Alsace et les montagnes des Balkans, n’aient pas été supportées inutilement.

Il faut vous souvenir de votre régiment et en être fier ; il faut vous rappeler les grandes leçons que vous y avez reçues et que vous y avez pratiquées : courage, travail, persévérance, ténacité, abnégation, camaraderie. Et ces vertus qui vous ont fait gagner la guerre, vous feront également gagner la paix.

Campagne 1914 – 1915 : La Campagne d’Alsace

La mobilisation. — Le 2 Août 1914, premier jour de la mobilisation générale, le 235e régiment d’infanterie commence à se constituer à Belfort, aux casernes de Rethenans, sous le commandement du lieutenant-colonel ALBERT. Le 5 Août au soir, ses deux bataillons aux ordres des commandants MARCHAND et VICQ sont prêts à partir ; ils comptent ensemble 36 officiers et 2156 hommes de troupe. Aussitôt formé, le 235e entre dans la composition de la 57e division de réserve qui a pour mission d’assurer la protection immédiate du camp retranché de Belfort, ce qui peut porter à croire que le régiment ne va avoir à remplir qu’une tâche effacée de gardien de place forte. Nous verrons qu’au contraire un rôle très actif lui sera constamment réservé.

Premières opérations en Alsace. — En effet, dès le début de la guerre, Charles avec le 235e se trouve mêlé à des événements importants qui ont pour théâtre la haute Alsace, et il subit le contre-coup des opérations menées dans cette région par le 7e corps d’abord, par l’Armée d’Alsace dont il fera partie, ensuite. Le 7 Août, le 7e corps est entré en Alsace dans le but de couvrir sur leur flanc droit nos 1re et 2e armées qui, sous les ordres des généraux DUBAIL et CASTELNAU doivent prendre l’offensive en Lorraine. Le 8 Août, une brigade de ce 7e corps (35e et 42e) est entrée à Mulhouse, mais le 9 Août tout notre 7e corps est attaqué, depuis Cernay jusqu’à Mulhouse, par deux corps d’armée allemands revenus en hâte de Lorraine.

Dans la nuit du 9 au 10, à la suite de combats très violents, tout le 7e corps recule sur la frontière. Pendant ce temps que fait le 235e ? Le 7 Août, il s’en tient à sa mission première qui est d’assurer la sécurité du camp retranché de Belfort, et sans se soucier des limites de l’ancienne frontière, prend position sur une ligne qui s’étend moitié en France, moitié en Alsace et que jalonnent les villages de Noviliare, Montreux-Château, Montreux-Jeune. Puis le 9 Août, au moment où le 7e corps est attaqué par des forces allemandes supérieures en nombre, toute la 57e division de réserve se voit dans l’obligation de coopérer à l’action qui se déroule. En conséquence, le 235e se porte au sud de Dannemarie, dans la journée du 9. Le 10 Août il avance davantage vers l’est et occupe Altkirch et Carspach.

Mais les Allemands ne se trouvent pas de ce côté. Le régiment qui, par là, n’a pas l’occasion de tirer un seul coup de fusil suit le mouvement général de repli du 7e corps vers l’ancienne frontière. Aussi le 11 Août, nous retrouvons Charles près de Dannemarie et le 12 à Petit-Croix. Au cours de cette journée du 12, il est formé une armée d’Alsace sous les ordres du général PAU et les opérations en Haute-Alsace qui viennent d’échouer une première fois vont être reprises. Pour le moment, il s’agit d’empêcher les forces allemandes qui nous ont suivis dans notre mouvement de recul sur la frontière de tourner Belfort par le sud. C’est à quoi s’emploiera la 57e division de réserve et c’est dans l’ accomplissement de cette mission que le 235e livrera le combat de Montreux-Jeune.

Combat de Montreux-Jeune, 13 Août. — Nous avons vu que, le 12 Août, le 235e est arrivé à Petit-Croix. A peine y est-il installé qu’il reçoit l’ordre de se reporter vers l’est pour remplir la mission qui vient d’être définie. Il se met aussitôt en route et, vers quatre heures de l’ après-midi, on apprend que l’ennemi occupe Valdieu. On ne dépassera donc pas la ligne formée par Montreux-Jeune, le Moulin de la Caille, Magny, sur laquelle on prendra les avant-postes. La soirée du 12 se passe sans incident, de même que la nuit du 12 au 13 et la plus grande partie de la journée du 13 Août. Montreux-Jeune, occupé par les compagnies que commandent les capitaines BOYER-RESSÈS et MATHIEU, a été très fortement organisé. Vers la fin de l’ après-midi, l’ennemi débouche du village de Romagny et des bois qui font face à Montreux-Jeune.

Les troupes allemandes qui viennent de Romagny se précipitent sur le Moulin de la Caille et sur Magny où nos 22e et 24e compagnies sont bousculées. Le capitaine JAPY qui commande la 22e Cie, est tué au Moulin de la Caille. Mais à Montreux-Jeune, les compagnies BOYER-RESSÈS et MATHIEU qui viennent de renforcer les compagnies HADET et RÉMY — tout le 5e bataillon — font bonne contenance dans de solides tranchées, ce qui prouve que, même au début de la guerre, il y avait des régiments où l’on savait remuer la terre. Bientôt une grêle de balles s’abat sur Montreux-Jeune, en même temps que les projectiles de l’artillerie lourde de campagne ennemie éclatent de toutes parts avec fracas. Et le combat continue ainsi jusque vers 7 heures du soir.

A ce moment, les troupes allemandes qui se sont emparées du Moulin de la Caille et de Magny contournent Montreux-Jeune par le sud, se heurtent aux 21e et 23e compagnies qui exécutent une contre-attaque au cours de laquelle les capitaines CASENAVE et DUBAIL sont tués. Les débris des deux compagnies se replient et, dès lors, la position de Montreux-Jeune va devenir intenable. Ordre est donné au 5e bataillon de battre en retraite. Les capitaines BOYER-RESSÈS, HADET, RÉMY sont blessés ; le capitaine MATHIEU est tué. Maintenant la nuit est venue. Les Allemands sont entrés dans Montreux-Jeune, mais ils ne poursuivent pas. Quant au 235e il continue sa retraite vers l’ouest et, aux environs de minuit, se reformera à Vézelois. Les pertes étaient lourdes. Sur les huit capitaines qui commandaient les compagnies, sept étaient hors de combat : 4 tués, 3 blessés. On avait pu transporter 7 officiers et une soixantaine de sous-officiers et soldats blessés. Mais il manquait 300 hommes classés comme « disparus » parmi lesquels se trouvaient bon nombre de tués et de blessés laissés sur le terrain.

Offensive de l’armée d’Alsace.  – Il faut se réorganiser et, à cet effet, le régiment passe quatre jours à Danjoutin. Il repart aussitôt, sous les ordres du commandant VICQ qui remplace le lieutenant-colonel ALBERT nommé au commandement de la brigade. C’est que, le 19 Août, le 78 corps a réoccupé Mulhouse : la 57e division, poussée de nouveau en Haute-Alsace, va coopérer à l’occupation du pays. Et par ces beaux jours d’Août, dans les villages alsaciens accueillants, Charles savoure pleinement les joies de la victoire. Hélas ! le 25 Août le bruit se répand dans les cantonnements qu’occupe le 235e, au nord d’Altkirch, que nous avons évacué Mulhouse la veille, qu’une partie du 7e corps a regagné Belfort pour y être embarqué en chemin de fer, Dieu sait dans quelle direction !

Évacuation d’une partie de la haute Alsace. — Quels événements ont pu motiver pareille décision ? Ici on ignore tout… On ignore ce qui s’est passé à Morhange, en Lorraine et à Charleroi, en Belgique. Nous avons été battus : la frontière du nord est ouverte et Nancy est menacé. Alors, en Alsace, il ne faut plus songer à garder les mêmes emplacements. Au sud, la 57e division se trouve maintenant toute seule… Encore une fois c’est le recul vers la frontière ; ce sont les villages où l’on a cantonné, — Tagolsheim, Heidwiller et combien d’autres ! — abandonnés aux représailles de l’ennemi. Le 27 Août, le 235e occupe Bréchaumont, Saint-Cosme, Reppe et il va rester là jusque vers la mi-septembre. Le sort de la France se joue en ce moment sur un autre terrain. Une grande bataille se livre sur la Marne et le 9 Septembre c’est là que nous serons victorieux.

Stationnement en Alsace (Octobre-Novembre 1914) – A la fin de Septembre la 57e division esquisse un léger mouvement en avant dans le but d’occuper des positions plus avantageuses. Ici le terrain en avant de nos lignes est libre et, lors des reconnaissances qu’exécute le régiment sur des points où l’on soupçonne que l’ennemi s’est installé après notre départ, il arrive de faire 10 à 15 kilomètres avant de rencontrer les Allemands. Le calme va régner dans ce secteur — Traubach-leHaut et Traubach-le-Bas — pendant les mois d’Octobre et Novembre.

C’est le triste hiver qui commence et, avec lui, la triste guerre. Les tranchées se sont creusées peu à peu et Charles s’initie à cette existence nouvelle, dans la boue où l’on s’enlise, par le froid qui, chaque jour, devient plus vif. Au cours de ce morne mois de Novembre, le sergent MOULIN se distingue par un acte de courage accompli dans les conditions que voici : le 9 Novembre, le caporal MARÉCHAL de la 17e Cie, tombe mortellement frappé en veillant à la sécurité des travailleurs occupés à creuser un boyau face à Ammertzwiller. En s’affaissant, il s’écrie : « Mort ou vivant, emportez-moi d’ici ! » On tente de s’approcher de lui, impossible, car les balles pleuvent.

Mais le sergent MOULIN, qui vient d’apprendre l’ultime désir de son camarade, n’hésite pas à sortir de la tranchée, s’approche en rampant du corps de MARÉCHAL, parvient à le saisir et, par un prodige d’énergie, sous les coups qui tombent dru, le ramène en arrière jusqu’à un endroit défilé où il est désormais possible d’aller le chercher sans danger. Fin Novembre : toujours rien de nouveau ; l’attente lancinante, dans les tranchées dont le réseau se complique, d’événements attendus et qui ne se produisent pas…

Première attaque d’Ammertzwiller, 2 Décembre 1914. — On décide d’attaquer Ammertzwiller, village fortement organisé que deux cents mètres séparent de notre ligne. Pendant toute la matinée, et jusque vers 2 heures de l’ après-midi, le combat se poursuit, mené par le 260e et le 5e bataillon du 235e. Mais un arrêt se produit et l’attaque ne reprend que vers 4 heures. Le 3e bataillon du 49e territorial est poussé en avant et doit déborder Ammertzwiller par le sud, mais il tombe sur des réseaux de fil de fer et est ramené en arrière.

Des renforts sont demandés : deux compagnies et la section de mitrailleuses du 6e bataillon, tenues jusque là en réserve, arrivent vers 7 heures du soir, conduits par le commandant MARCHAND dans le secteur où opère déjà notre 5e bataillon. A 8 heures, un dernier effort est fait sur toute la ligne, mais il échoue. Des mines sautent… Il faut songer à la retraite. Il est près de 10 heures du soir. Par un superbe clair de lune, les tireurs ennemis aperçoivent, comme en plein jour, les fantassins français qui font des taches sombres sur la terre blanchie par la gelée.

Les compagnies du 235e se replient sur Traubach-le-Bas, Buethwiller, Balschwiller et lorsqu’on dénombre les absents, on trouve qu’il manque à l’appel 29 tués, 56 blessés dont 2 officiers, 26 disparus. Encore un acte de courage à signaler. Malgré le danger qu’il y a rester en butte aux tirailleurs ennemis, le sergent RIEGERT, dit MARCHAL, n’a pas battu en retraite avec tout le monde ; il fouille le terrain en tous sens, passe la nuit à rechercher les blessés et réussit à en ramener cinq qui, au jour, auraient été infailliblement faits prisonniers. La médaille militaire a été la récompense de la vaillante conduite du sergent RIEGERT.

Janvier 1915. — Le 3 Janvier, la 57e division fait partie d’un groupement qui prend le nom de détachement d’armée des Vosges. Est-ce l’annonce d’opérations plus actives sur cette partie de notre front ? Non. Rien n’est changé dans la vie monotone que Charles mène depuis trois mois et qu’il faudra mener si longtemps encore… Les travaux d’approche s’effectuent dans une épaisseur de boue de 40 à 50 centimètres, car il pleut. Les ouvrages aussitôt construits s’effondrent ; les parois des boyaux s’éboulent. Sans cesse, il faut pomper l’eau, relever la terre, clayonner sans trêve. Le but est de s’approcher des villages d’Enschingen, d’Ammertzwiller et d’autres, tenus par l’ennemi. Mais y arrivera-t-on jamais ? La maladie cause plus de vides que le feu. Le 18 Janvier, il gèle enfin ! Et il semble que ce froid plus vif, en durcissant la boue et les terres,va apporter un adoucissement aux misères endurées.

2e attaque d’Ammertzwiller, 27 Janvier 1915. — Ce village d’Ammertzwiller dont l’ennemi fait un centre de résistance important est appelé à nous gêner considérablement au cas où des opérations offensives seraient décidées sur cette partie de notre front. Il y aurait avantage à s’en emparer avant qu’il ne soit trop fortement organisé. Le 27 Janvier, toute la 57e division participe à l’attaque. Quant au 235e, séparé ce jour-là en trois fractions, voici quelle est sa mission :
1°) le 5e bataillon est mis à la disposition du lieutenant-colonel commandant le 260e ; il abordera le village par la lisière nord ;
2°) le 6e bataillon qui est aux avant-postes restera dans ses tranchées et fixera par son feu les défenseurs de la lisière sud pour permettre, sur l’autre lisière, la manœuvre du 260e et de notre 5e bataillon.
3°) le 3e bataillon du 49e territorial est en réserve.

A 7 heures du matin, le combat s’engage ; il dure toute la journée. En vue de l’attaque d’Ammertzwiller, deux compagnies du 235e — les 17e et 19e — reçoivent l’ordre de renforcer le 260e et exécutent une magnifique progression sous de violentes rafales d’artillerie. La 17e est commandée par le capitaine LUC qui tombe grièvement blessé. A 4 heures du soir, l’attaque est lancée sur Ammertzwiller, mais elle échoue. On a conquis un peu de terrain qu’on occupe par une nuit particulièrement glaciale, et nos hommes, couchés sur la terre durcie par la gelée ne peuvent même pas creuser les trous de tirailleurs qui les soustrairaient dans une certaine mesure aux effets du feu de l’artillerie ennemie.

Le 1er Février 1915, le 235e qui se trouve dorénavant réduit à ses deux bataillons par suite du départ, du 3e bataillon du 49e territorial, quitte le secteur Traubach-Buethwiller-Uberkumen et va s’installer dans la région Guevenatten-Sternenberg-Dieffmatten. Le temps s’est adouci ; c’est le dégel et de nouveau la boue, la pluie avec l’inondation des tranchées.

Attaque allemande sur les ouvrages du Ponceau et de la Cuvette, (nuit du 1er au 2 Avril 1915). — Deux mois de calme. Il faut aller jusqu’au début d’Avril pour enregistrer une affaire digne d’être relatée. Dans la nuit du 1er au 2 Avril, l’ennemi exécute un coup de main contre nos positions avancées de la route de Ballschwiller à Burnhaupt et attaquent nos ouvrages du Ponceau et de la Cuvette occupés cette nuit-là par le peloton du sous-lieutenant AZIÈRES, de la 21e compagnie. Les Allemands sont repoussés, cependant vers 4 heures du matin, le 2 Avril, une nouvelle troupe ennemie (70 à 80 hommes) se porte sur le Ponceau ; la section du sous-lieutenant PATÉ arrive et cloue l’adversaire sur place.

Certes cette action se réduit à peu de choses (nos pertes s’élèvent à 1 tué et 2 blessés) mais elle a permis à plusieurs braves du 235e de se signaler. C’est ainsi que le soldat de 1re classe WALZER, de la 21e Cie, reçoit la médaille militaire pour être allé chercher, en avant de nos tranchées, pour les faire prisonniers des Allemands qui s’étaient blottis dans un pli de terrain et pour avoir été blessé en essayant de retrouver un lieutenant signalé comme disparu. Le sous-lieutenant PATÉ, qui a repoussé une attaque ennemie en combattant un fusil à la main, après avoir pris les meilleures dispositions, est cité à l’ordre de l’armée. Cités également à l’ordre de l’armée, le caporal BRESSY et le soldat MAYER qui, sous le feu adverse, se sont portés à 150 mètres en avant des tranchées et ont ramené 8 prisonniers. Le 22 Avril, le général JOFFRE en tournée sur le front d’Alsace s’arrête à La Chapelle-sous-Rougemont ; il remet ce jour-là la croix d’officier de la Légion d’honneur au lieutenant-colonel VICQ, commandant le 235e.

Mai-Juin-Juillet 1915. Le régiment continue le cycle de ses déplacements habituels. Toujours les mêmes villages où l’on s’installe les yeux fermés tant on en connaît maintenant les moindres recoins. Placé à deux reprises en réserve de division, le régiment est remis à l’instruction.

Attaques allemandes sur nos ouvrages de Ballschwiller et de Gildwiller (11-12 Juillet 1915). — Le 11 Juillet, vers 6 heures du soir, une violente canonnade dans le secteur tenu par le 235e fait présumer une attaque. Nous avons là deux centres de résistance, l’un à Ballschwiller, l’autre à Gildwiller, et les dispositions y sont aussitôt prises pour parer à toute éventualité. Sur l’ouvrage de Ballschwiller l’ennemi exécute un bombardement intense qui nous coûte 13 tués et blessés, L’attaque se fait contre l’ouvrage de Gildwiller. A 7 h30 un fourneau de mine explose à 40 mètres en avant de notre tranchée du Tunnel qu’occupe la 18e Cie (capitaine VAFFIER). A la faveur de cette explosion qui creuse une excavation de 15 mètres de profondeur et ensevelit deux hommes de la 18e Cie, une première vague allemande atteint la partie nord de la tranchée du Tunnel, mais elle est fusillée à bout portant par la section du sous-lieutenant DELABRE et contrainte de s’arrêter.

Sur ces entrefaites, une deuxième vague arrive, dépasse la première et pénètre dans toute la tranchée. Un terrible corps à corps s’engage. La demi-section du sergent BOLLE et celle du sergent SARAZIN résistent sur place et ne se replient qu’au moment où elles vont être complètement tournées. C’est à ce moment que le capitaine VAFFIER est tué d’un éclat d’obus. A 8 heures et demie du soir, l’ennemi occupe une partie de nos positions avancées ; il retourne nos tranchées pour s’en servir contre nous, place des boucliers, aménage des plates-formes pour mitrailleuses. De notre côté, nous préparons pour le lendemain 12 Juillet, 3 heures 15 du matin, une contre-attaque. Or, vers 3 heures, nos postes d’écoute signalent le repli de l’ennemi.

Le sous-lieutenant CARRÉ de MALBERG part avec sa section pour vérifier sur place l’exactitude de ce renseignement. Et en effet les boyaux occupés la veille au soir par l’ennemi sont vides ; quatre Allemands qui y traînent encore sont faits prisonniers. Cette affaire nous coûte 17 morts, 54 blessés, 6 disparus. Trois ou quatre compagnies allemandes (des soldats de landwehr (territoriaux) arrivés récemment de Mulhouse) avaient pris part à l’ attaque. Quant à nous, nous réoccupons sans tarder toutes nos positions. Après avoir passé une partie du mois d’Août en deuxième ligne, le 235e revient dans ce secteur Ballschwiller-Gildwiller. Et dès le 19 Septembre un bombardement d’une extrême violence est dirigé sur l’ouvrage du Tunnel — appelé maintenant ouvrage VAFFIER. On a calculé qu’environ 800 obus de tous calibres étaient tombés là au cours de la journée. On avait cru à une attaque en règle ; il n’en avait rien été.

Départ d’Alsace, Octobre 1915. — « Les troupes de la 113e brigade n’iront pas au travail aujourd’hui, dit un ordre du 7 Octobre ; elles attendront dans leurs cantonnements des instructions ultérieures. » Que se passe-t-il ? On sait que l’autre brigade de la 57e division est déjà partie pour le camp de la Valbonne. Dans la matinée du 7, nous apprenons que nous sommes relevés par la 10e division de cavalerie et le 11e bataillon de chasseurs… Sans tarder, le 235e se dirige sur Petit-Croix et Novillars. Le lendemain, repos dans ces deux villages et, le soir, en route sur Belfort où l’on s’embarquera en chemin de fer. Pour l’instant, c’est l’inconnu… Le 9 Octobre, le régiment débarque à Meximieux, dans l’Ain où un camp provisoire a été créé pour les troupes à destination de l’Orient.

Campagne d’Orient : Ainsi le 235e est appelé à prendre part à des événements qui vont se dérouler à l’autre extrémité de l’Europe. La France vient de convaincre ses alliés de la nécessité d’envoyer dans les Balkans un corps expéditionnaire international qui débarquera à Salonique. Le but est de sauver la Serbie, notre alliée, attaquée par les Autrichiens et les Allemands, menacée par les Bulgares. Il s’agit aussi, grâce à la présence de ce corps expéditionnaire, de maintenir dans la neutralité la Grèce, dont le roi CONSTANTIN est favorable aux Allemands, enfin de fermer aux Empires centraux la route du canal de Suez et de l’Extrême-Orient. Telles sont les raisons qui font que la France envoie des troupes en Orient. Le temps presse. Au camp de Meximieux, il faut habiller et équiper de neuf tout l’effectif du régiment, Charles reçoit un matériel spécial dédié au genre de guerre qu’il faudra mener dans un pays nouveau. En quatre jours, tout est fait. Le 14 et le 15 Octobre, le régiment est dirigé sur Marseille et, le 18, le 235e quitte la France voguant vers ses nouvelles destinées.
Source : http://gallica.bnf.fr. – Droits : Domaine public – Transcription intégrale : P. Chagnoux – 2014 – Campagne 1914 – 1918 – Historique du 235e Régiment d’Infanterie Imprimerie A. Herbelin – Belfort – Mulhouse – 1920.

En décembre 1914, Charles avait été condamné par le Conseil de Guerre.
En effet le 29 décembre 1914, le Conseil de Guerre permanent de la 57ème Division de Réserve le condamne à deux années d’emprisonnement par application de l’article 213 du C.J.M. Le Conseil le condamne en outre aux frais envers l’État conformément à l’article 139 du C.J.M. Sa peine sera suspendue par Décision du Général commandant la 57ème Division 56/8 du 2 janvier 1915.

– L’article 213 du code de justice militaire condamne normalement à mort pour abandon de son poste en présence de l’ennemi ou de rebelles armés. Contrairement à ce qui se dit, la désertion individuelle à l’intérieur, qu’elle soit ou non en présence de l’ennemi, n’est pas passible de la peine de mort. Ces déserteurs individuels (la majorité des cas) ne peuvent être condamnés à mort que si, à la désertion, est accolé le motif 213 : abandon de poste en présence de l’ennemi (utilisé pour certains récidivistes). (voir ci-après)
– L’article 139 du code de justice militaire condamne à rembourser, sur ses biens présents et à venir, au profit du Trésor public, le montant des frais de procès.

Nous ne possédons pas la copie du jugement, mais Charles n’a donc pas été « fusillé pour l’exemple ». La cause de sa condamnation provient peut-être d’une défaillance de sa part lors de la première attaque d’Ammertzwiller le 2 Décembre 1914, qui fut particulièrement dure comme nous le relatons plus-haut. Ou simplement d’un retour « tardif » de permission. Cependant nous ne saurons jamais si sa peine aurait été exécutée à la fin du conflit ou non; ni même si elle était réellement justifiée, comme pour d’autres malheureux hâtivement jugés et fusillés sans raison.

La désertion et l’abandon de poste

Dans le Code de justice militaire français, c’est la désertion et l’abandon de poste en présence de l’ennemi (cette qualification recouvre aussi les mutilations volontaires) qui conduisirent le plus de soldats au poteau. Car c’est bien la qualification « en présence de l’ennemi » qui conduit la justice militaire à prononcer la peine la plus sévère, c’est-à-dire la mort. L’abandon de poste « sur un territoire en état de guerre ou en état de siège » est puni de deux à cinq ans de travaux publics ou d’emprisonnement (articles 211 à 213 du Code de justice militaire). Les sanctions prononcées sont tributaires de l’appréciation de la proximité de l’ennemi par les juges. Emmanuel Saint-Fuscien rappelle dans son étude sur la 3e DI, que les articles 231 à 239 du Code de justice militaire précisent les définitions de la désertion : « à l’intérieur, à l’étranger, à l’ennemi ou en présence de l’ennemi. Toute absence illégale est considérée comme désertion à partir de délais qui varient en fonction des situations entre vingt-quatre heures et six jours ». L’historien précise également que dans ce cas de figure, le nombre croissant de désertions à partir de 1916 « tient à la généralisation du système de permission mis en place à l’été 1915. Au-delà du cinquième jour de retard, le permissionnaire est considéré comme déserteur […] Le délai prévu par le Code de justice militaire, au-delà duquel le retard était requalifié en désertion, abouti à la « judiciarisation » d’une désertion qui n’en est pas toujours une, loin s’en faut ».
Source : http://www.reseau-canope-fr.

Le 25 septembre 1915, Charles est blessé par balle au 5ème doigt de la main gauche, du côté de Gilwiller (Haut-Rhin en Alsace).
Il est évacué pour blessure et soigné en hôpital de campagne dès le 26 septembre. Puis il est transféré à l’hôpital dépôt Faucher, à Bordeaux, du 12 au 14 octobre 1915.
Suite à cela il bénéficie d’une permission bien méritée de 7 jours, en attendant sa prochaine affectation pour novembre 1915.

Entre le 21 octobre et le 7 novembre 1915, Charles est transporté par mer vers Salonique en Macédoine.
Le voyage se fait à bord du Lutécia au départ de Toulon et dure 4 jours 1/2, il est escorté par un contre-torpilleur jusqu’aux côtes de Sicile, puis un autre torpilleur prend le relais. Au fur et à mesure des débarquements, transport par chemin de fer vers Krivolak et Démir-Kapou ; occupation de la vallée du Vardar et des gorges de Démir-Kapou, jusqu’au confluent du Vardar et de la Tchérna.

En novembre 1915, il changera 3 fois d’affectation de régiment.
Du 8 novembre 1915 au 12 novembre 1915, Charles passe à la 57ème D.I. au sein du 260ème Régiment d’Infanterie.

Composition de la 57ème D.I. :

La 57ème division d’infanterie se composait de :
* La 113ème brigade avec :
– le 235e R.I. d’août 1914 à novembre 1916.
– le 260e R.I. d’août 1914 à novembre 1918.
– le 371e R.I. d’août 1914 à novembre 1918.
* La 114ème brigade avec :
– le 242e R.I. d’août 1914 à octobre 1917.
– le 244e R.I. d’août 1914 à octobre 1916.
– le 372e R.I. d’août 1914 à mars 1919.

Après son débarquement, le 260e se rend au camp de Zeïntenlick, à 4 kilomètres au nord de Salonique. Là il ne trouve pas le moindre abri et le terrain est détrempé par une pluie torrentielle : les tentes sont dressées sur un désert couvert de boue.

Pourquoi sommes nous ici ?

Nous sommes ici pour empêcher nos ennemis d’anéantir le peuple serbe et les débris de son héroïque armée. Nous y sommes aussi pour empêcher nos ennemis de s’y installer, ce qui pourrait leur permettre de rallier à leur cause non seulement la Turquie et la Bulgarie, ce qui est fait, mais aussi la Roumanie et la Grèce, qui sont hésitantes. Les sous-marins austro-allemands deviendraient alors maîtres des voies maritimes dans la Méditerranée, ce qui serait pour nous une catastrophe vraiment irréparable. L’armée serbe, cette armée de héros si admirés des soldats de France, se bat depuis 1912, elle a vaincu les Turcs et les Bulgares et a été deux fois victorieuse de l’Autriche, au Tzer, en août 1914, à la Koloubsra en novembre de la même année. Aujourd’hui elle est épuisée ; le feu de tant de batailles, le choléra, le typhus, la famine, la misère… ont fini par en avoir raison.

L’armée serbe, ainsi réduite à 194 bataillons squelettiques, à bout de force et manquant de munitions, est assaillie par 111 bataillons allemands, 53 bataillons austro-hongrois et 177 bataillons bulgares, au total 341 bataillons. La Serbie rappelle alors à la Grèce le traité du 3 juin 1913. Par ce traité, Serbes et Grecs se sont en engagés à se secourir mutuellement en cas d’agression de la part des Bulgares. Le 23 septembre, CONSTANTIN, roi de Grèce, a signé le décret de mobilisation de l’armée hellénique, mais cela ne veut pas dire que cette armée portera secours à la Serbie. CONSTANTIN est avant tout le beau frère de GUILLAUME II, empereur d’Allemagne, il discute, il prétend être dégagé de toute obligation vis-à-vis de la Serbie, si cette nation ne peut fournir comme le veut le traité du 3 juin 1913, 150.000 hommes. Or, cela ne lui est matériellement plus possible.

C’est alors que M. VÉNIZELOS, le grand Crétois, président du conseil des ministres en Grèce, propose de demander à l’entente les 80.000 hommes nécessaires pour compléter l’effectif serbe ; devant le silence de CONSTANTIN, il lance cette demande en qualité de chef du gouvernement. Le 2 octobre, la France et l’Angleterre font connaître à M. VÉNIZELOS qu’elles enverront à Salonique les renforts qu’il a demandés. Le 5 octobre, le roi CONSTANTIN renvoie M. VÉNIZELOS et le remplace par un germanophile. L’armée grecque est mobilisée et concentrée en Macédoine, mais contre qui ? Le 9 octobre, les Austro-allemands occupent Belgrade, le 11, les Bulgares franchissent la frontière serbe à l’est de Nich, le 12, le général SARRAIL débarque à Salonique.

C’est sur la demande du gouvernement grec que nous sommes venus à Salonique. On ne s’en douterait pas en y débarquant : dès notre arrivée, nous sentons autour de nous l’hostilité de tout ce qui est grec. Les quais où nous devons débarquer sont encombrés à dessein. Les moyens de transport indigènes, qui emplissent les rues, disparaissent, deviennent introuvables dès que nous demandons qu’ils soient mis à notre disposition, il est interdit aux indigènes de vendre quoi que ce soit aux troupes franco-anglaises. Il est défendu de leur louer l’immeuble le plus mesquin, le chariot le plus exigu ; des propriétaires qui ont logé des officiers français sont menacés de prison, mis à l’amende.

Les autorités grecques font défense au général SARRAIL et à ses officiers de s’éloigner de Salonique de plus de 8 kilomètres ; on n’a point accès aux hauteurs qui dominent la ville. Les officiers envoyés en reconnaissance vers Koukouch sont arrêtés par les postes grecs. Il nous est défendu d’établir des antennes de TSF, défendu de poser, sur les poteaux du royaume, des fils téléphoniques. Nos dépêches doivent passer par les lignes grecques, contre paiement ; elles sont d’autant plus retardées dans leur transmission qu’elles sont urgentes ; si elles sont chiffrées, elles sont toujours embrouillées, rendues incompréhensibles. Tous les canons de la ville et des forts sont braqués sur le camp de Zeïntenlik, où s’installent nos troupes et nos magasins.

Les officiers grecs, raides comme des officiers prussiens, la moustache relevée comme celle de GUILLAUME II, le sabre traînant sur le pavé, l’air insolent et gouailleur, ne répondent même pas à notre salut ; en compagnie d’Allemands, ils nous comptent au débarquement comme si demain nous devions être prisonniers de guerre. Avant la 113e brigade, sont déjà arrivées à Salonique la 156e division, venue de l’enfer des Dardanelles et la 114e brigade. Malgré les 240 kilomètres qui séparent Salonique d’Uskub, malgré les difficultés de transport par une voie unique de chemin de fer, le petit nombre de véhicules et surtout la mauvaise volonté hellénique, ces 18 bataillons sont partis à la rencontre des 341 bataillons ennemis et la 113e brigade va les rejoindre ; il en sera de même du 8e régiment de chasseurs d’Afrique, de la 122e division et du 58e bataillon de chasseurs à pied, qui doivent arriver prochainement.

Une division anglaise est envoyée vers Doiran, avec un rôle défensif. C’est une aventure comme on en trouve peu dans l’histoire que va tenter cette petite armée, dont une partie sera lancée en avant de la Tcherna avec un seul pont à dos, le pont de bois de Vozarci, et en arrière de ce pont, les Portes de Fer, c’est à dire une muraille formidable avec une brèche pour le Vardar, profond et noir, qui roule en torrent formidable, où la voie ferrée, qui sert à tout, se faufile en s’accrochant en corniche aux rochers. Il faut être fils de Gaulois pour tenter cela. Mais cette aventure eut les résultats heureux que l’on pouvait attendre : notre petite armée attira à elle la masse ennemie désireuse de la faire prisonnière, et l’armée serbe, ayant son vénérable roi PIERRE à sa tête, put opérer sa retraite sur l’Adriatique à travers les chemins chaotiques de l’Albanie. Le journal officiel de la Serbie du 12 mai 1916 porte : «à la nation française, l’humanité doit une profonde reconnaissance.»

Campagne de Serbie.

Le 25 octobre 1915, le régiment est transporté, par le chemin de fer, à Demir Kapou, où il relève les éléments du 2e régiment de marche d’Afrique. La mission du 260e est d’organiser et d’assurer la défense de la gare de Demir Kapou et des Portes de fer, contre un ennemi venant du nord ou de la rive gauche du Vardar. Le 30 octobre sous la poussé du nombre, les Serbes avaient évacué Velès.

Le 13 novembre, les Bulgares, en s’infiltrant dans la Babouna, tournent les défenses de Prilep. Pour éviter l’encerclement, les Serbes sont contraints de se replier nettement vers le sud-ouest et de prendre le chemin de l’Albanie.

Deuxième affectation.
Du 13 novembre 1915 au 17 novembre 1915, Charles passe au 372ème Régiment d’Infanterie.

La campagne d’Alsace et avec elle la campagne de France du 372e R.I. était terminée. Le régiment était désigné pour l’expédition de Salonique. Le 8 octobre 1915 il embarquait à Toulon. Certes les montagnes de Serbie n’effrayaient pas les combattants du Sudel et du Linge. Mais ils allaient y connaître un danger de plus, le Paludisme et une souffrance morale aigüe : l’éloignement de la Mère-Patrie.

Serbie
Dès son arrivée en Orient, le régiment prend contact avec les Bulgares, fait une série de reconnaissances et reçoit la délicate mission de défendre la tête de pont de Krivolac et de Kara Hodzali. L’ennemi s’acharne en vain sur cette position défendue avec une rare vaillance. Le froid est terrible, le thermomètre descend à – 18°, la neige tombe en abondance. Le moral est si élevé que malgré les accidents dus à cette température rigoureuse, peu d’hommes consentent volontiers à être évacués, presque tous demandent à rester. Une somme de travail considérable est fournie par tous.

Des positions déblayées au prix d’un dur labeur sont comblées en quelques instants par une rafale. Les porteurs, les conducteurs et les gradés ont été au-dessus de tout éloge. Sous la protection d’un seul bataillon, tout le matériel et toutes les munitions amenés à grand-peine au sommet de la position sont transportés à dos d’homme sous les tempêtes de neige. A l’exception de 3 ou 4 tôles ondulées servant de couverture à des abris et profondément encastrées dans le sol gelé, rien n’a été laissé. Quelques jours plus tard, la conduite du régiment a été récompensée par une belle citation.

Le régiment ayant prouvé qu’il était une unité d’élite reçoit pendant la retraite de Serbie de périlleuses missions. Le 6, par exemple, il occupe les positions environnantes de Guevgueli et protège le pont du Vardar afin de permettre aux troupes fatiguées de passer sans encombre. Le dernier élément ayant franchi le fleuve, le régiment se replie. La retraite se termine pour lui au Sud de Kjorgine, où il reçoit l’ordre d’organiser ce secteur du camp retranché de Salonique.
Source : Historique du 372e Régiment d’Infanterie numérisation P. Chagnoux – 2011.

Troisième affectation.
Du 18 novembre 1915 au 28 septembre 1916, Charles revient au 260ème Régiment d’Infanterie.

Le 20 novembre 1915, la 122e division, complètement découverte sur ses flancs et attaquée avec fureur par des forces considérables, doit repasser sur la rive droite de la Tcherna. Elle n’a pour franchir cette rivière que le pont de Vozarci, immense construction de bois vermoulu, sur laquelle ne peuvent passer plus de vingt hommes à la fois et qui par miracle, n’est pas démoli par le bombardement ennemi. Pendant que la 122e division repasse ce pont, le 3e bataillon du 148e RI, sous les ordres du commandant MARQUIS, qui eut par suite l’honneur de commander le 260e, se cramponne au nord de Debrista, à la cote 208, sur un roc nu et dur, dans lequel il est absolument impossible de creuser un fossé. Sur un tel terrain, ce bataillon eut été rapidement décimé par les feux ennemis concentrés sur lui, s’il n’eut organisé sa ligne de défense avec de grosses pierres qui jonchaient le sol. Grâce à ce travail, et bien que le 58e bataillon de chasseurs à pied, sur lequel il s’appuyait à gauche, eut abandonné ses positions vers midi, il put, au prix seulement de cinq officiers et cent cinq hommes de troupe mis hors de combat, remplir jusqu’au bout la mission qui lui était confiée, évitant ainsi une catastrophe.

Lorsque, le 21, à 1heure 30, la 122e division eut repassé la Tcherna, le bataillon MARQUIS reçut à son tour l’ordre de se replier. Alors, pour se dégager de l’ennemi qui veut le suivre et qui est à une vingtaine de mètres de lui, il exécute brusquement une charge à la baïonnette ; l’ennemi, surpris, dégringole les pentes qu’il n’a gravies que lentement et aux prix de pertes considérables. Au lieu de le poursuivre, le bataillon se replie aussitôt sur la crête en arrière, puis descend vers la Tcherna, qu’il franchit avec son général de division, le général de LARDEMELLE. Toute l’armée franco-anglaise doit se replier sur Salonique, où elle se retranchera. Les Français doivent exécuter ce repli en quatre temps : sur Demir Kapou, sur Stroumitza station, derrière la Boemica, sur la frontière grecque. L’intention du général en chef est de gober «l’œuf, aspirer ce qu’il contient, laisser la coquille, puis, quand elle sera vide, la briser ». Sur la rive droite de la Tcherna la « coquille de l’œuf », sous les ordres du commandant MARQUIS, se compose de six compagnies d’infanterie, deux compagnies de mitrailleuses, une batterie d’artillerie de 75, une batterie de 65 de montagne et un peloton de dragons.

Pendant tout le temps que dura la couverture sur la Tcherna, c’est à dire jusqu’à la nuit du 3 au 4 décembre, les Bulgares ne cessèrent de faire preuve d’une témérité folle, et l’on en fit un grand massacre. Ainsi devant Sivek et Brusani, ils s’entêtèrent à apporter des bois pour la construction d’un pont : ils réussirent à demi dans le transport des matériaux à pied d’œuvre, mais ne purent établir aucun passage ; à cette occasion, nos fusils, nos mitrailleuses et nos canons tuèrent des ennemis sans arrêt. Les Français qui virent ce spectacle conservent une admiration sincère pour la bravoure des Bulgares. Il faut ajouter qu’à cette époque, toutes les nuits, les Bulgares nous chantaient la Marseillaise. La deuxième « coquille d’œuf » fut formée par le 260e.

A cet effet, le 25 novembre 1915, le 5e bataillon (commandant GONDRE) alla s’établir au nord-est de Demir Kapou : la compagnie ROSSIGNOT (20e) s’établit à Iberli pour surveiller le Kires Tepe, piton abrupt de 560 mètres ; la compagnie SPITZ (19e) grimpa sur la cote 590 au dessus de Kosarka. La compagnie FRONTY (18e) fit la liaison en arrière de la 19e, sur les hauteurs. La compagnie CRETIN, en réserve avec l’état-major du bataillon, resta dans le ravin situé au sud de Kosarka au lieu dit «les deux sources». En plus de son bataillon, le commandant GONDRE avait sous ses ordres quelques cavaliers à pied et une batterie de 65 de montagne. Dans les derniers jours de novembre, la neige tomba en abondance et le thermomètre descendit la nuit à – 33° centigrades.

Le 4 décembre, les tranchées avancées couvrant Demir Kapou sont occupées par des éléments du 6e bataillon du 260e. Le 5, la 122e division et la 114e brigade ont à peine traversé nos lignes, que les Bulgares attaquent le régiment avec des forces très importantes. Mais un brouillard épais, qui s’est levé bien à propos, les rend hésitants. Depuis certaines mésaventures qu’ils ont eues au cours de leur guerre de 1912, les Balkaniques n’accordent aucune confiance aux combats dans l’obscurité. Le 6, les postes avancés se retirent sur la ligne principale et le 7, à 4h.15, le 260e se replie, à son tour avec calme, sans que les Bulgares, que l’on entend parler la nuit, et le brouillard gênent ce repli. A ce moment surviennent le dégel et la pluie, qui transforment les pistes en marécages. La retraite devient de ce fait extrêmement pénible.

De Demir Kapou à Stroumitza gare, le 260e, formant l’arrière-garde de l’armée, se porte de position de repli en position de repli ; le 5e bataillon suit la rive gauche du Vardar et le 6e bataillon, la rive droite. A chacune de ces positions de repli, organisées au fur et à mesure du recul, le régiment doit supporter des assauts bulgares vraiment très courageux. Toujours, il y a des monceaux de cadavres ennemis devant les fils de fer, quand à l’heure indiquée, leur mission étant terminée, nos éléments se replient. Arrivé à Stroumitza gare, le 260e cesse d’être arrière-garde et il est rassemblé en une seule colonne pour continuer sa route. Le 8 décembre au soir, il arrive à Guevegueli où il cantonne. Le 9 au matin, il traverse le Vardar et va cantonner à Stojakovo. De là, il se porte entre Cerniste et Kara–Oglular, où, pendant les journée du 10 et du 11, il fait partie d’un détachement couvrant le repli de la 156e division et de la division anglaise.

Sa mission terminée, le 260e, menacé d’être coupé de sa ligne de retraite par les Bulgares, effectue rapidement son repli par une nuit d’une obscurité profonde et sur de très mauvaises pistes, à travers un chaos de montagnes. Après quelques jours passés en stationnement sur la frontière serbo-grecque, la 57e division poursuit sa retraite jusqu’à Salonique. Cette marche sur des pistes à travers champs est particulièrement dure : il pleut sans arrêt. A chaque pas, les pieds s’enfoncent profondément dans la terre grasse détrempée. Les toiles de tente ainsi que tout le paquetage des havresacs sont imprégnés d’eau et pèsent lourdement sur le dos des hommes, qui, arrivés au bivouac, sont trempés, exténués et dans l’impossibilité d’allumer du feu. Ils consomment alors un repas froid et se couchent dans la boue, sous le ciel inclément.

Organisation du camp retranché de Salonique

Les alliés décidant de faire de Salonique la base d’opérations futures, le général SARRAIL reçoit l’ordre de créer, pour couvrir ce port, un camp retranché appuyé à l’ouest sur le Vardar et à l’est sur le lac de Langaza. Les trois divisions françaises (122e, 156e, 57e) se partagent les secteurs de gauche de Topsin et Dogandzi à Daoudli ; les troupes anglaises les prolongent jusque vers Langaza et les isthmes ; une division anglaise (la 27e), qui n’a pas encore d’artillerie, reste en réserve dans la ville même.

Le 20 décembre 1915, le 260e occupe la rive gauche du Galiko vers Hidzerabati. Le terrain que le régiment doit fortifier est formé de hauteurs rocheuses dont les croupes rayonnent en éventail vers le nord autour du Mont Cervin (Matterhorn). En avant, la vue s’étend sur la plaine jusqu’au village d’Ambarkoj. Le beau temps, revenu, ramène la gaieté et fait oublier les dures fatigues de la retraite. Tout le monde se met au travail avec entrain. Les Bulgares viendront-ils jusqu’à nous ? En février, débarque à Salonique, la 17e division coloniale, dernière épave des Dardanelles. A la même époque, l’artillerie lourde, dont nous étions complètement dépourvus, nous arrive de France et d’Angleterre.

Le 1er avril 1916, le camp retranché est formidablement organisé. Il forme un arc de cercle de 120 kilomètres du Vardar au lac d’Orfano. Il comprend trois lignes de résistance et, devant chaque ligne, un réseau de fil de fer de 10 à 15 mètres. Les obstacles naturels, lacs et marais, sont renforcés, des ouvrages d’art sont créés ainsi qu’un réseau de voies de communication reliant Salonique aux lignes de défense. L’armée française comprend alors 94000 combattants et l’armée anglaise 95000. les Bulgares ne sont pas venus jusqu’à nous, nous allons retourner à eux. Des détachements sont constitués pour reprendre la marche en avant. Le 260e reste provisoirement à la garde des ouvrages et ce n’est que le 5 mai qu’il se portera dans le Krusabalkan.

Séjour du régiment dans le Kruza-Balkan.

Après un court séjour à Kasimli, dans la vallée du Spanc, le 260e s’intercale dans la ligne d’avant-postes, entre le monastère de Deli-Hassan et le lac Bukova, encadré, à droite, par les Anglais, à gauche, par le 244e régiment d’infanterie. Il procède à l’aménagement du terrain et effectue des reconnaissances, en vue de déterminer l’emplacement des Bulgares descendus de la chaine du Bélès. Dans cette vallée marécageuse, la chaleur tropicale devient bientôt insupportable. Le thermomètre, qui, dans les premiers jours de décembre, alors que nous étions en Serbie, marquait –33° centigrades, marque maintenant au soleil jusqu’à +58°. Les hommes qui ont été soumis, au cours de fatigues et de privations inouïes, à cette différence de température de 91° centigrades, à sept mois d’intervalle, sont des proies faciles pour le paludisme, particulièrement dangereux en Macédoine. Jusqu’ici, le 260e a peu souffert des balles et des obus, mais cet autre ennemi, le paludisme, l’a atteint, a pénétré dans son sang et lui fera payer tristement un lourd tribut à la mort.

Le 25 septembre 1916, le 5e bataillon est relevé, sur les hauteurs qu’il a conquises au nord-ouest de Florina, par le 372e régiment d’infanterie ; il vient renforcer le 6e bataillon. Pendant toute la journée du 24 et celle du 25, l’ennemi prépare une contre-attaque pour nous reprendre la cote 916. tout le régiment est violemment bombardé par l’artillerie ennemie, sans riposte possible de la nôtre. Le poste de combat du colonel est lui même pris à partie et démoli ; un des obus qui y tombent, projette en l’air le lieutenant RIBAUT, adjoint au colonel et tue les soldats Alfred d’HOOP et René TREMBLE. En ligne, la lutte est émouvante et le haut commandement est inquiet sur son issue. Une batterie de 75 de montagne, servie par des Allemands, se révèle tout-à-coup, à 800 mètres de notre ligne, et tire de plein fouet sur nos mitrailleuses, qui n’hésitent pas à engager un duel avec elle : à plusieurs reprises, mitrailleuses et mitrailleurs sont emportés par un obus, ils sont immédiatement remplacés et le duel continue.

La 21e compagnie (capitaine ROSSIGNOT) a tous ses officiers tués ou grièvement blessés, et il ne lui reste que dix-huit hommes. Enfin la contre-attaque ennemie se déclenche, formidable pour ce qui nous reste de fusils en ligne. Grâce une habile intervention par le feu de la compagnie SPITZ (19e compagnie) et des sections LECOT (23e compagnie) et ETIÉVANT (22e compagnie) et à la superbe attitude des survivants de la 21e compagnie (capitaine ROSSIGNOT) et de la 6e compagnie de mitrailleuses (capitaine TITEUX), cette contre-attaque se meurt à quelques mètres de nos baïonnettes sans avoir pu les aborder.

La cote 916 et le col de Pisoderi nous restent. Les Bulgares battent en retraite jusqu’aux lignes Gradesnica, Kenali, devant lesquelles le 260e va prendre la guerre de tranchées jusqu’aux premiers jours de novembre. A ce moment, le lieutenant-colonel BOIGUES, qui s’est dépensé sans compter depuis le début de la campagne, est frappé à son tour par le paludisme et évacué sur la France. Il est remplacé par le lieutenant-colonel Antoine MARQUIS. La prise de Kaîmanchalan par les Serbes héroïques oblige les Bulgares à abandonner la plaine et à se retirer sur les montagnes au nord de Monastir.
Source : Historique du 260e Régiment d’Infanterie – Numérisation de Jean-François Burais, descendant de Justin Burais, mitrailleur au 260e R.I. – numérisation P. Chagnoux – 2008.

Le 28 septembre 1916, après avoir remporté d’assaut la ville de Florina en Macédoine (Grèce), Charles, comme nombre de ses camarades, tombe malade. Les conditions combattantes étaient exécrables : à Salonique l’eau était rare et souvent polluée, or il fallait approvisionner quotidiennement les 300 000 hommes du camp retranché. Aux étés torrides succédèrent des hivers particulièrement pluvieux. Le bilan humain de l’armée d’Orient est catastrophique. Outre 70 000 tués, disparus ou décédés de maladies, il faut ajouter 44 500 blessés, 283 500 malades, dont 90 000 de maladies contagieuses. Le typhus, la dysenterie, le paludisme font des ravages sur ce front, alors qu’ils n’existent pratiquement pas, la dernière affection notamment, sur le front occidental. ». Charles est alors évacué sur l’ambulance d’Ekchisou (Grèce), puis vers hôpital des éclopés 403 du « Petit Karaburun » (Ville de Turquie au bord de la mer Egée située au sud de Salonique). Il sera ensuite rapatrié en France.
Source : « L’armée d’Orient, des expériences combattantes loin de Verdun » – François Cochet

L’assaut de Florina :
Depuis le 20 août 1916 les troupes franco-russe et serbes combattent les bulgares en territoire grec. De Salonique, où se trouve le camp des troupes française, une contre-attaque est lancée. Elle durera du 12 au 20 septembre pour prendre Florina, petite ville de Macédoine de l’Ouest (au nord de la Grèce), puis pour prendre la ville de Monastir ensuite.

Charles est alors soigné en France.
Arrivé en France, Charles est dirigé sur l’hôpital de Campagne N°72 du Mont-Fleury à Cannes. Puis il est placé à l’hôpital de Campagne N°74 Gallice, toujours à Cannes, du 26 janvier au 2 mars 1917. Il souffre de cachexie, paludisme, mauvais état général et diarrhée.
Après une convalescence de 25 jours, il rentre au dépôt le 28 mars 1917 et est de retour au armées le 23 août 1917.

Le 22 août 1917 Charles recevra sa 4ème, et hélas dernière affection, jusqu’au jour funeste du 24 mars 1918, où il se trouvera à Corbeny dans l’Aisne. Il est ainsi affecté au 273ème régiment d’infanterie qui se trouve alors dans le secteur de Poesele en Flandres.

L’OFFENSIVE DES FLANDRES
(Juillet – Octobre 1917.)

Le secteur de Bixschote.
Tout le régiment, qui était réserve de C.A, est porté en avant. Dès le 2 août 1917, il relève le 33ème R. I. aux lisières nord et nord-est de Bixschote et commence immédiatement l’aménagement de la position conquise. Le travail est pénible. La perfection de notre préparation d’artillerie a transformé les lignes ennemies en un champ d’entonnoirs jointifs. Sur 800 mètres à l’est du canal de l’Yser, le terrain n’est plus qu’un vaste marécage. La pluie ne cesse de tomber et l’artillerie ennemie réagit vigoureusement. Ni boyaux, ni tranchées, une piste à peine tracée que jalonne un mince cordon blanc : l’axe des liaisons. L’occupation du secteur est courte.

Dans la nuit du 5 au 6 août 1917, le 273e est relevé par le 327e — son vieux compagnon de la Somme, — mais ce séjour dans l’eau, dans la boue, sous le bombardement, ce paysage lunaire c’est une vision qui ne s’effacera pas. Repos bien gagné à Warhem du 6 au 18 août. Le 19 août, débarquement à Oost-Vleteren. Le 20, au cours d’une reconnaissance, le lieutenant-colonel du GUINY est blessé dans un accident de cheval. Le chef de bataillon THALAMAS prend le commandement du régiment et transporte son P. C. à la ferme Seghers. Le 1er septembre, le lieutenant-colonel COLIN, breveté d’état- major, vient prendre le commandement du 273e.

Le secteur de Poesele (21 août – 15 sept. 1917).
Le secteur de Poesele a plus d’un point de ressemblance avec le secteur de Bixschote. Ni boyaux, ni tranchées, l’eau affleure à 10 centimètres : tout le travail doit être fait en superstructure. Heureusement, notre artillerie n’a pas complètement démoli les abris bétonnés des Allemands ! Les inondations du Martjevaart tendent entre l’ennemi et nous un filet protecteur. Le bombardement est relativement faible et faibles aussi les pertes (6 tués, 26 blessés). Il n’y a que la tête de pont de Drie Grachten qui puisse être menacée d’un retour offensif de l’ennemi.

Ainsi le 1er septembre 1917, un tir d’encagement d’une extrême violence laisse prévoir une attaque, et le lieutenant-colonel COLIN, qui arrive prendre le commandement du régiment et qui descend de l’armée au C.A, du C.A. à la D.I, de la D.I. à l’I.D, est accueilli à chaque échelon par la consigne : « Surtout, tenez bien Drie Grachten ! » Nul danger. Le commandant SCHŒPELYNCK y veille comme à la prunelle de ses yeux. Il s’entend avec un groupe d’artillerie lourde (capitaine COLIN) qui n’est pas loin. Il promet de lui construire de belles plates- formes, et chaque fois que l’ennemi fait mine de bouger, quelles rasades supplémentaires ! Ce n’est pas à l’armée ANTHOINE qu’on ménage les munitions ! Ce n’est pas à l’armée ANTHOINE qu’on « moisit » en secteur.

Le 15 septembre, relève par les fusiliers marins, le 116e B. C. A. et le 102e B. C. P. Nouvelle période de repos à Sainte-Marie-Kerque du 16 septembre au 3 octobre. Le taux des permissions est porté à 50 %. La compagnie d’infanterie est réorganisée suivant les dernières instructions du G. Q. G. Mais de nouvelles attaques se préparent. Nous sommes le pivot de l’avance anglaise et ce pivot prend quelquefois les allures d’aile marchante.

L’attaque du 9 octobre 1917.
Le 9 octobre, la 2e D. I. attaque à son tour en direction de la ferme Papegoëd et de la ferme de la Victoire, un nom prédestiné. Le 273e R. I, qui a quitté Sainte-Marie-Kerque le 4 octobre et qui est placé en réserve de D. I. sur la rive droite du canal de l’Yser, n’a pas à intervenir. Son rôle, modeste aujourd’hui, se borne à fournir des travailleurs et à ravitailler les unités en ligne, tâche obscure, mais combien pénible, la nuit, sous les obus toxiques

Le secteur de Bixschote.
Dans la nuit du 15 au 16 octobre, le 273e relève dans le secteur de Bixschote le 321e R. I. et le bataillon de fusiliers marins. Le secteur est plus agité que celui de Poesele, mais les travaux d’aménagement n’en sont pas moins activement poussés. La barrière d’eau du Saint-Jaansbeek n’arrête pas l’ardeur de nos patrouilles qui étudient les passages en vue de préparer l’attaque que le 36e C. A. doit mener à la fin d’octobre. Le 18 octobre, de 16 à 17 heures, deux reconnaissances offensives sur les bois Max (5209) et Jack (4810) sous le commandement des sous-lieutenants LOTTERIE et FLICHER. La reconnaissance LOTTERIE (une section de la 13e) part à 16 heures de la cabine téléphonique, franchit le Saint- Jaansbeek sur un arbre couché, se déploie immédiatement dans un ordre parfait et pousse d’un seul élan jusqu’aux abris 4810.

Elle ne peut ramener la dizaine de cadavres ennemis qui s’y trouve, mais les pattes d’épaule qu’elle arrache permettent d’identifier trois régiments différents. La reconnaissance FLICHER (une section de la 15e compagnie) franchit le Saint-Jaansbeek sur deux passerelles de fortune, atteint la tranchée des Bois et ramène deux prisonniers. Deux autres opérations sont conduites le 21 octobre, à 16 heures, sur l’abri 4610 et sur le Four à Chaux, sous le commandement des sous-lieutenants VANDEMEULEBROUCKE et PICARD. La première est éventée par l’ennemi au moment même où elle franchit le Saint- Jaansbeek. Plusieurs hommes sont tués, dont le sergent ROCHEFORT. Le sous-lieutenant VANDEMEULEBROUCKE et l’adjudant PICHONNIER, dont les vêtements sont traversés par les balles, retraitent les derniers, ramenant leurs nombreux blessés. L’opération PICARD a eu un succès complet. L’effet de surprise a été total. Sept prisonniers du 134e R. I. rendent hommage à la maestria des exécutants (sous-lieutenant PICARD, aspirant ROLLING, 20 hommes).

Nettoyage de la presqu’île de Luighem (27 octobre 1917).
Ce ne sont là que les préludes de la belle opération qui sera menée par le 273e, le 17 octobre : le nettoyage de la presqu’île de Luighem. La presqu’île de Luighem s’allonge entre le Martjevaart, à l’ouest, l’Yser au nord-ouest et au nord, le lac Blankart au nord-est et à l’est. Bordée de trois côtés par des marécages, elle n’est abordable que par le sud. C’est par là qu’ayant verrouillé la presqu’île, le 273e va jeter le filet et d’un seul coup libérer 20 kilomètres carrés de terre belge. L’opération est confiée au 6e bataillon (SCHŒPELYNCK), soutenu par le 4e (THALAMAS), les deux bataillons aux ordres du lieutenant-colonel COLIN. A 10 h.55, l’ordre d’attaquer suivant est expédié au chef de bataillon SCHŒPELYNCK : « Ne marquez pas de temps d’arrêt à Langewaede. Traversez de suite le Martjevaart et portez-vous sur votre base de départ. L’heure H pour l’opération projetée est 13 heures. Le 4e bataillon marchera dans vos traces jusqu’à la lisière sud de Merckem. »

A partir de 11 h.45, le 6e bataillon commence à franchir le pont de Langewaede, c’est-à-dire le gué du Martjevaart, à proximité du pont détruit, car aucune passerelle n’existe. Le gué n’a pas 1 mètre de large et a plus de l m.20 de profondeur. Tout le bataillon doit défiler en colonne par un, les hommes ayant de l’eau jusqu’au ventre (Avec de l’eau jusqu’aux épaules (Communiqué officiel). — Avec de l’eau jusqu’au cou (Général Von ARDENNE, Berliner Tageblatt. Liberté du 19 novembre 1917). Mieux vaut encore ce bain glacé que la région marécageuse qui s’étend sur l’autre rive pendant plusieurs centaines de mètres. Là, les plus robustes eux-mêmes risquent de s’enliser tour à tour dans cet océan de boue. Là-dessus, le tir d’interdiction de l’ennemi qui arrose méthodiquement le passage par 105 percutant et fusant. La situation est critique.

Avant tout, il faut assurer le passage. C’est la place du chef. Le commandant SCHŒPELYNCK, installé à la chapelle de Langewaede, au point d’accrochage de l’artillerie ennemie, guide et oriente lui-même les unités. Vingt minutes après, le lieutenant- colonel COLIN arrive. D’un coup d’œil il a jugé la situation. Oui, la place du chef est là. Il envoie le commandant SCHŒPELYNCK en avant. Lui reste. Pendant quatre heures, à la chapelle de Langewaede, sous le bombardement qui dure, il surveille en personne le passage. De la chapelle effondrée il ne reste plus qu’une éminence informe surmontée par un grand mur abrupt et blanc. Quel poste d’observation et quel point de mire ! C’est là que, environné de morts et de blessés, le lieutenant- colonel COLIN voit passer la file interminable de ses deux bataillons. Il peut lire dans les yeux de beaucoup l’angoisse de la situation. Il peut lire dans les yeux de tous la volonté de vaincre. Un décalage d’horaire est indispensable. Comment prévenir l’artillerie ? Par bonheur, une ligne directe — doublant la ligne d’infanterie établie par le caporal LEROY — a été posée entre le 2e groupe du 215e R. A. C. et le chef de bataillon. Elle a été menée jusqu’à la ferme Raoul par le sous-lieutenant PALLIEZ.

Le commandant SCHŒPELYNCK s’entend directement avec le colonel VÉRON, commandant le 215e R. A. Tous les barrages prévus sont décalés, les temps d’arrêt sur les objectifs de chaque bond réduits au strict minimum. A 16 heures, le commandant SCHŒPELYNCK ne dispose que d’une partie de ses unités. Il n’hésite pas cependant. Il groupe les sections dont il dispose. Il se porte en avant. A 17 h.15 il a atteint tous ses objectifs. Il lance immédiatement les cinq reconnaissances prévues pour le nettoyage complet de la presqu’île et trouve, au petit jour, la liaison avec l’armée belge à la ferme Q (21e compagnie, capitaine MORET, sous-lieutenant REYNIER).

Le nombre total des prisonniers faits par le 6e bataillon s’élève à 46 dont un officier (tous du 388 Ldw.). 3 minenwerfer légers, 2 mitrailleuses, 9 granatenwerfer, 200 obus de 77 de tranchée, 35.000 cartouches, un important dépôt de vivres et d’eau minérale sont tombés entre nos mains. Après le dur passage du Martjevaart à Langewaade, après les champs d’entonnoir de Merckem, Luighem, c’est la douceur de la campagne flamande, avec ses abris bétonnés confortables et « colossaux », avec ses prés, ses bois, sa végétation intacte. C’est bien le plus joli secteur qu’on puisse rêver. Les hommes, qui ont progressé de 4 kilomètres vers le nord et qui voient le terrain libre devant eux, oublient qu’ils sont dans une presqu’île et demandent à marcher de l’avant. Le 28 octobre, quand ils voient arriver les fusiliers marins pour la relève, ils les félicitent d’avoir su «dénicher une belle villégiature».

Le 6e bataillon est cité à l’ordre de la 1ère armée :
« Le 27 octobre 1917, sous les ordres du commandant SCHŒPELYNCK, gagne, à travers un terrain inondé où les hommes enfoncent jusqu’à la ceinture et malgré un violent bombardement ennemi, les emplacements d’attaque qui lui sont assignés. Au moment fixé, s’élance résolument à l’attaque d’une position garnie de plusieurs lignes de défense successives et d’abris bétonnés encore intacts, qu’il conquiert en quelques heures, capturant des prisonniers et un abondant matériel. »
(Ordre de l’armée du 25 novembre 1917)

Il faut renoncer à citer toutes les récompenses individuelles depuis le 31 juillet. Médailles anglaises (capitaines CHARVET, LEBORGNE, soldat ZAMARETTI), citations à l’ordre de l’armée ou du corps d’armée (capitaine LEREBOURS, sous-lieutenants PICARD, LOTTERIE, OUTTERS, FLICHER). Pendant toute l’offensive les pertes ont été très faibles (sous-lieutenants RONCIN et LACHENAUD, blessés). Si le régiment a perdu, au mois d’août, en la personne du capitaine CHARVET et du capitaine ZEDDE, deux des derniers officiers partis de Béthune le 10 août 1914, c’est parce que leurs rares qualités les ont fait désigner l’un et l’autre pour un cours d’état- major.

Après la glorieuse conclusion de la bataille des Flandres, six semaines de repos à Vieille-Église (30 octobre – 6 décembre 1917) en sont pour tous la récompense très goûtée. Le 2 décembre, revue de la 51e D. I. par le roi Albert et la reine Élisabeth sur le terrain d’aviation de Saint-Pol. Le roi Albert, qui passe devant les drapeaux, s’arrête longuement devant celui du 273e qu’un vent furieux secoue et semble devoir mettre en pièces : le plus déchiqueté n’est pas le moins glorieux.

LA GUERRE DE TRANCHÉES
(Hiver 1917 – Printemps 1918.)

Des Flandres au G. M. P.
Le 6 décembre, le 273e quitte la zone de Vieille-Église et embarque à Marck pour Lillers. Dès le débarquement, la 51e D. I, divisée en deux groupements se suivant à un jour d’intervalle, se prépare à traverser toute la zone anglaise. Partie de Lillers le 7 décembre, elle atteindra le 24 décembre les environs de Meaux, ayant franchi plus de 200 kilomètres malgré le froid très vif, la neige abondante et le mauvais état des routes. Dans les cantonnements parcourus, les troupes anglaises saluent le passage de nos troupes. A Rambert, une musique écossaise fait défiler le régiment. Doullens, Amiens et Meaux sont traversés drapeau déployé. Le régiment arrive, la veille de Noël, à Quincy – Ségy, au cœur de l’Ile-de-France.

Repos à Quincy – Ségy (24 déc. 1917 – 26 janv. 1918).
Temps de repos bien gagné. La proximité de Paris permet de fréquentes excursions dans la capitale, et Charles en profitera également.

Travaux sur l’Aisne (4 février – 7 mars 1918).
Le 26 janvier 1918, le 273e quitte ce séjour enchanteur pour le camp de Chéry-Chartreuse. Il n’y séjourne que cinq jours. Dès le 4 février, installé à Révillon (É.-M, 6e bataillon), à Maizy (5e), à Beaurieux (4e), il se prépare à organiser la seconde position de défense sur la rive sud de l’Aisne. Chacun se rend compte de l’importance des travaux entrepris, depuis le dernier pionnier jusqu’au lieutenant-colonel COUDIN, ancien chef de bataillon au régiment frère (73e), ancien chef d’état-major de la 2e D. I. qui a remplacé le 21 février, à la tête du régiment, le lieutenant-colonel COLIN, appelé le 12 février au poste de chef d’état-major de la 29e D. I. Il s’agit, en appliquant sur le terrain les récentes instructions du G. Q. G. sur le flanquement, les G. C. et l’échelonnement en profondeur, de barrer à l’ennemi la route de Paris, lors de la formidable offensive qu’il nous annonce. Le 4e bataillon, cantonné à Beaurieux, se spécialise dans la « confection de la bretelle de Chaudardes ». La position est d’une réelle importance stratégique, puisqu’elle doit boucher le couloir de l’Aisne au sud du plateau de Californie, dans le cas où l’ennemi, ayant débordé nos lignes dans la région de Chevreux ou de Juvincourt, essaierait de prendre à revers le Chemin des Dames. 5e et 6e bataillons travaillent à la ligne de repli Maizy — Concevreux qui doit interdire à l’ennemi le passage de l’Aisne.

Le secteur de Craonne (7 mars – 8 mai 1918).
Le 7 mars, relève de la 1ère D. I. par la 51e D. I. dans le secteur Chevreux — Craonne. Le 273e R. I. doit relever le 1er R. I. dans le sous-secteur C : la clef du Chemin des Dames, le plateau de Californie avec la ville fameuse de Craonne dont il ne reste plus que des ruines, est confiée a la vigilance du 273e. C’est un poste d’honneur. Le 273e, qui était à l’offensive du 16 avril, quelques kilomètres à peine plus à l’ouest, sait de quel prix la position a été payée. Il peut lire le nom de ses morts sur les croix de bois de Vauclair ou — comme celui du capitaine RENARD — au petit cimetière de la Source.

Comme s’ils avaient le pressentiment des heures tragiques du 27 mai, le lieutenant-colonel COUDIN et son « second », le chef de bataillon SCHŒPELYNCK, — passé au mois de mars officier supérieur adjoint — se préoccupent avant tout d’organiser le réduit de Californie. Des tonnes de fils de fer barbelé sont hissées sur le plateau à dos d’hommes ou de « bourricots ». Des tranchées nouvelles (tranchée de l’Éperon) sont creusées, des abris bétonnés pour mitrailleuses sont entrepris. Tout est prévu pour faire du réduit de Californie un véritable bastion fermé sur ses quatre faces. Mais la défensive passive ne suffit pas. De nombreux coups de main sont exécutés et des patrouilles offensives très fréquentes essaient de nous renseigner sur les intentions de l’ennemi et de ramener des prisonniers.

Reconnaissances du lieutenant FRÉGEAC le 14 mars ; du lieutenant CALVEZ le 20 mars ; du sous-lieutenant ETCHEGOYEN le 25 mars (accueilli par une vive fusillade au moment où il force le passage de l’Ailette). Le 15 mars, l’ennemi attaque la caponnière Vincent, défendue par le sous-lieutenant DÉMANGE, et laisse un blessé dans nos fils de fer. Cette activité incessante n’est pas sans occasionner des pertes : le sous-lieutenant BALIGAND, le 5 avril ; le sous-lieutenant GIGNOUX, le caporal LERNOUD (19e) le 15 avril. Mais aussi le 24 mars 1918, Charles Guébel qui sera tué devant Corbeny, entre la grand’route de Reims à Laon et le village de Chevreux, dans la tranchée de Nemours.
Sources : Historique du 273e Régiment d’Infanterie Imprimerie Berger-Levrault – Nancy-Paris-Strasbourg -Numérisation : P. Chagnoux – 2013; et GEBEL Charles – Archives du Territoire de Belfort – Registres Matricules N°764 de 1904 – Page 419/740 – 1 R 261.

L’intensification des combats en France est liée au fait qu’après la révolution d’Octobre, qui a donné naissance à une république bolchévique, la Russie, en pleine guerre civile, signe un traité de paix avec l’Allemagne à Brest-Litovsk (Biélorussie). Les Allemands en profitent pour concentrer leurs ultimes efforts sur le front français. Ainsi le lendemain même du premier tir sur Paris de la « Grosse Bertha », mortier de 420 mm, Charles GUÉBEL est tué au front le dimanche 24 mars 1918, à l’âge de 34 ans, à Corbeny dans l’Aisne, en sortant de la tranchée de Nemours en Corbeny pour effectuer une reconnaissance. Son décès est transcrit le 5 juillet 1918 à Danjoutin – Territoire de Belfort.
Acte de décès GEBEL Charles – Mémoire des hommes.

Il sera inhumé après le 25 mars 1918 à Pontavert dans l’Aisne au Cimetière militaire français dans la Tombe individuelle N° 5171. Le cimetière militaire français de Pontavert, qui porte également le nom de « Beaurepaire » se situe à la sortie du village en direction de Beaurieux. Créée en 1915 et agrandie en 1919, cette nécropole de 2,4 hectares abrite 6.815 corps de soldats tombés lors de la Première Guerre mondiale. Parmi ses sépultures, 6.694 français sont en tombe individuelle, et 1.364 en ossuaire. Cette nécropole abrite également les tombes de 67 britanniques tués en octobre 1914 et de mai à octobre 1918 et 54 russes. Beaucoup de ces soldats sont tombés durant l’offensive du Chemin des Dames du général Nivelle.
Inhumation GEBEL Charles – http://www.memorial-chemindesdames.fr

Le 29 avril 1921, Charles bénéficiera à titre posthume d’une amnistie de ses trois condamnations en correctionnelle infligées entre 1902 et 1905, ainsi que de celle du Conseil de guerre de décembre 1914. Très certainement par reconnaissance de la patrie pour le fait qu’il soit « Mort pour la France« .

« L’attribution de la mention « mort pour la France » est une récompense morale honorant le sacrifice des combattants morts aux Champs d’honneur. Instituée alors par la loi du 2 juillet 1915, elle confère aux victimes une reconnaissance et un statut individuel, ainsi qu’à ses ayant-droits : sépulture individuelle et perpétuelle dans un cimetière militaire aux frais de l’État, création d’associations de veuves et d’orphelins, pension de veuve de guerre, statut de pupille de la Nation pour les enfants du mort pour la France. »

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