Chantiers de Jeunesse Française et S.T.O.
14 mars 2014 Un commentaire
Comme annoncé récemment, et par devoir de mémoire envers un homme qui jamais ne s’est exprimé sur les évènements qu’il a du subir bien malgré lui, vous trouverez ci-après les éléments d’une page compliquée de la vie de Maurice, Louis, Albert CASTEL (1920-1985) durant cette période trouble de la seconde guerre mondiale de 1939 à 1945.
Remontons tout d’abord le temps pour retrouver les origines de Maurice, surnommé Momo dans son enfance. Le petit Momo voit donc le jour le mercredi 25 août 1920 à Saint-Chamond dans la Loire (42). Il est le fils légitime de Henri, Jean, Philippe CASTEL, Administrateur Délégué de la Société St-Chamonaise de Tresses, âgé de 50 ans et de Anne-Marie, Augustine BERNARD, âgée de 33 ans. A sa naissance, il a une sœur Raymonde (née en 1914) qui deviendra infirmière, et œuvrera notamment au sein de la Croix-Rouge durant le conflit de 1939-1940 pour aider et soigner les militaires.
Maurice aura une enfance sans histoire, au sein d’une famille bourgeoise, durant ces années folles de 1920 à 1929, qui pour la région se traduiront principalement par l’évolution économique de Saint-Étienne et des industries régionales, très loin des soirées parisiennes, et sans rapport avec les folles nuits de la rue de la Mulatière. Baptisé à Saint-Chamond, le 26 septembre 1920, à l’âge de 1 mois, Maurice fait sa première communion le dimanche 2 juin 1929, suivie quelques années après, le 25 mai 1933, par sa confirmation à l’Institution Sainte-Marie. Enfant bien obéissant et studieux, il poursuivra convenablement ses études qui lui permettront de devenir plus tard Directeur Commercial Adjoint aux Manufactures Réunies de Saint-Chamond.
Orphelin juste avant la guerre, suite au décès de son père en 1939, Maurice alors âgé de 18 ans, se retrouvera seul face à un évènement mondial qui le dépassera largement. L’armistice du 22 juin 1940 ayant supprimé le service militaire obligatoire, les chantiers de jeunesse furent créés comme une sorte de substitut le 30 juillet 1940. Les jeunes hommes de la zone libre en âge (20 ans) d’accomplir leurs obligations militaires y étaient incorporés pour un stage de six mois. Ils vivaient en camps près de la nature, à la manière du scoutisme, mais avec le volontariat en moins, et accomplissaient des travaux d’intérêt général, notamment forestiers, dans une ambiance militaire. Ils étaient encadrés par des officiers d’active et de réserve démobilisés, ainsi que par des aspirants formés pendant la guerre de 1939-1940. À partir de 1941 l’obligation des chantiers de jeunesse est étendue à tous les Français de zone libre devant accomplir leurs obligations militaires pour 8 mois.
Dirigés par le général Joseph de La PORTE du THEIL, les chantiers de jeunesse étaient une institution ambiguë. Il s’agissait d’inculquer les valeurs de la Révolution nationale, prônée par le Régime de Vichy. Le culte de la hiérarchie et de la discipline passait notamment par l’importance donnée à tous niveaux au Chef. La vénération du Maréchal PÉTAIN imprégnait profondément les cadres. Alors que le régime exaltait le retour à la terre et le provincialisme, la vie en groupements dans les bois pouvait aussi se lire comme une réaction contre la ville industrielle et corruptrice, foyer de l’individualisme et de la lutte des classes. Par ailleurs, aucune « politique » n’était tolérée dans les chantiers. Ce qui signifiait l’interdiction de la propagande des partis collaborationnistes et bien sûr des organisations de Résistance, mais aussi l’absence de radios, de débats et autres moyens de communication qui même censurés, auraient permis aux jeunes de suivre l’évolution de la guerre et de la politique du régime, et de se faire une opinion personnelle.
Maurice est donc incorporé au Chantier de Jeunesse Française (C.J.F.), N°5 « LYAUTEY », basé à Pontgibaud dans le Puy de Dôme, de septembre 1941 à avril 1942. Ce chantier sera dissous le 30 novembre 1943. Il avait pour devise : « Bâtir » et comme support la publication : « France, ralliement« . Il se composait des 11 groupes suivants : 1-Péguy – 2-Charcot – 3-Bayard – 4-Guynemer – 5-De Bournazel – 6-Verdun – 7-Francis Garnier – 8-Gouraud- 9-Du Plessis – 10-Jean Bart et enfin 11-Sidi Brahim (Groupe de Direction). Ce chantier dépendait du Commissariat régional de la Province d’Auvergne, basé à Clermont-Ferrand, sous la direction de Pierre BOUSQUET, qui lui-même dépendait du Commissariat Général basé à Châtel-Guyon (Puy de Dôme) au « Splendid Hôtel », dissous officiellement le 17 juin 1944.
Afin de ne pas apparaître aux yeux de l’occupant comme une organisation militaire, les Chantiers étaient placés sous la tutelle du secrétariat d’État à l’Éducation nationale et à la jeunesse. À l’arrestation de La PORTE du THEIL, ils passent sous le contrôle du ministre du Travail et de la Production Industrielle, le technocrate Jean BICHELONNE, un ultra-collaborationniste responsable de la mise en œuvre du Service du travail obligatoire. Ce changement accentue leur transformation en un vivier de main-d’œuvre au service de l’occupant, en France comme en Allemagne.
Le commissariat général coordonnait les commissariats régionaux. Chaque commissariat régional supervisait une école de cadres et 8 à 10 groupements, assimilables chacun à des régiments, de 1.500 à 2.200 hommes. Chaque groupement était divisé en 6 à 12 groupes, assimilables à des compagnies de 150 à 200 hommes chacune. Les groupes étaient divisés en équipes. Pour mieux comprendre l’importance de ces chantiers, et leurs répercussions sur l’esprit des jeunes, nous listerons simplement les commissariats régionaux créés à cette époque : Province d’Alpes-Jura à Lyon, Province d’Auvergne à Clermont-Ferrand, Province du Languedoc à Montpellier, Province de Pyrénées-Gascogne à Toulouse, Province de Provence à Marseille et enfin Province d’Afrique du Nord à Alger.
A la fin de ces huit mois sous l’uniforme, abreuvé périodiquement de la doctrine du Maréchal PÉTAIN, Maurice en sortira bien sûr en excellente forme physique suite à l’entraînement, pétrit de grands principes sur le travail, la famille et la patrie; mais surtout sans aucune opinion personnelle, en l’absence de toute information objective, réelle et concrète sur le conflit en cours. Il se retrouvera également, et bien malheureusement, « fiché » par l’organisation et fera ainsi hélas partie des 24.000 jeunes des C.J.F. requis par le Gauleiter Fritz SAUCKEL, surnommé le « négrier de l’Europe », pour le S.T.O. (Service du Travail Obligatoire) instauré par Pierre LAVAL le 16 février 1943. Il partira donc, fin mars 1943, pour le district de « Zell am See » (ville autrichienne située dans le land de Salzbourg) et sera doté de ce livret de travail pour étrangers sous le matricule N° 843.
Tout d’abord à Kaprun, en Autriche, Maurice sera donc requis au S.T.O. durant plus de deux ans, à compter du 1er avril 1943 jusqu’à la libération en mai 1945. Il a travaillé comme manœuvre dans le bâtiment (Bauhilfsarbeiter). Le détail des postes occupés est indiqué sur la page 4 de son carnet. Comme retracé dans le film que je vous conseillais auparavant, « STO – Avoir 20 ans sous l’occupation », les français ne comprenaient pas toujours la dureté de cette situation, et c’est ainsi que Maurice au retour de cette pénible épreuve, après deux ans passés d’absence, fut choqué d’entendre sa sœur lui dire de « s’essuyer les pieds » avant de franchir le seuil de la maison.
La seconde page de son carnet de travail indique respectivement de haut en bas : le pays d’origine, la date de naissance, le lieu de naissance, le département, le pays de naissance, la nationalité, la situation familiale : led (abréviation de ledig = non marié), et enfin le nombre d’enfants. On notera que ce livret de travail a été remis à l’arrivée en Autriche, et donc que la photo a été prise soit à Salzbourg, soit à Zell am See (le tampon indiquant « Office du Travail » (Arbeitsamt) N°2 – Salzbourg). La ville de Salzbourg est situé à 108 km au nord de Zell an See. La destination finale étant le village de Kaprun, à 7 km au sud de Zell am See, comme indiqué sur la page suivante.
Maurice a donc été tout d’abord envoyé à Kaprun, commune autrichienne de la région du Pinzgau, dans le Land de Salzbourg, à 108 km au sud de Salzbourg :
– Il est affecté du 1er avril 1943 au 24 octobre 1943 à la « Collectivité de travail » du barrage (Arbeitsgemeinschaft Tauernsperre) du Tauern à Kaprun comme manœuvre en bâtiment (Bauhilfsarbeiter). Ce barrage servira à alimenter la centrale électrique de Kaprun (Tauernkraftwerk). Nota : Cette collectivité sera contrôlée par la Commission Alliée U.S. de 1945 à 1950.
– Puis du 25 octobre 1943 au 4 mai 1944 pour « L’Union de Sociétés de Construction » sur le Chantier de Kaprun, encore comme manœuvre.
– Maurice est ensuite transféré à Hallein, une autre ville autrichienne située à 83 km au nord de Kaprun toujours dans le land de Salzbourg, et travaille à compter du 6 mai 1944 jusqu’à « nouvel ordre » (bis auf weiteres) chez « Mayreder Kraus & Co » – Entrepreneur en construction, toujours comme manoeuvre.
Son livret sera ensuite visé par l’Office de Travail de Salzbourg le 28 juillet 1944, c’est à ce moment que la mention « bis auf weiteres » pour son travail à Hallein est ajoutée. On peut donc penser que Maurice a travaillé à Hallein jusqu’à la libération, soit début mai 1945 sachant que les allemands n’ont jamais daté ni paraphé son départ.
La 7ème Armée américaine franchit la frontière autrichienne, le 28 avril 1945. Les chars du XVème corps américain, 106ème Division de Cavalerie entrent à Salzbourg le vendredi 4 mai 1945, après un bombardement intensif de la ville le mardi précédent. Pour information, on notera que Hallein n’est qu’à 12 km de Berchtesgaden, du Kehlsteinhaus (le nid d’aigle) et du Berghof, lieux de villégiature du Führer allemand, le dictateur Adolf HITLER, de 1930 à 1945. Hallein n’étant également qu’à 14 km de Salzbourg, Maurice est donc, de facto, libéré du S.T.O. dès le 4 mai 1945.
Épilogue : En juillet 1950, Maurice effectuera le voyage jusqu’à Kaprun pour tirer un trait sur sa période de S.T.O et revoir les lieux de cette époque douloureuse. Après avoir traversé la Suisse, il fait une étape à Landeck dans le Tyrol Autrichien, d’où il écrit à sa maman, qui réside alors au 31 cité des T.A.S.E. chez sa fille Raymonde à Vaulx-en-Velin (Rhône), pour la rassurer sur son voyage.
L’étape suivante s’achèvera à l’hôtel Kaiser Franz Joseph au pied du Grossglockner, point culminant de l’Autriche dans les Alpes centrales. Puis il retournera notamment sur le barrage de Kaprun, pour la construction duquel il avait travaillé d’avril à octobre 1943, fera une passage par la Bavière à Berchtesgaden avant d’achever ce voyage à Hallein, où il travailla de mai 1944 jusqu’à la libération.
Nous le retrouverons ensuite à Spiez en Suisse pour une ultime étape avant son retour à Saint-Chamond où il loge au 24, rue de la Réclusière. Maurice se mariera le lundi 5 mai 1952 à Chartres (28), il aura cinq enfants avec son épouse Jeannine, Berthe GRAND (1923-1999), la fille de François GRAND et de Suzanne, Louise, Mélanie ROFIDAL. Après un vie paisible, au cours de laquelle il dirigera le service Fils et Câbles et la Téléphonie, aux Manufactures Réunies de Saint-Chamond dans le Département Électricité; et sans jamais avoir évoqué cette triste époque de la guerre avec ses enfants; il s’éteindra à Tahiti le dimanche 26 mai 1985, à l’âge de 64 ans.
(Pensez à cliquer sur les photos pour les agrandir !)
Très intéressant. je vous remercie. Je suis également a la recherche de traces des camps…photos…témoignages. En effet mon papa a été envoyé la bas aussi. Il travaillait a la construction du barrage et sa première activité a été de porter les sacs de ciments a épaule d’homme pour la construction du plan incliné qui se situe entre Wasserfallboden et Mooserboden, malheureusement il y a vécu un enfer. c’était un des seuls « frantsouse » (Novembre 1943) la plupart de ses coéquipiers étaient des Tchèques et des Polonais qui eutx, n’avait pas la même chance, car les Nazis n’aimait pas ces gens la, et les faisait travailler jusqu’à épuisement. Il a pris la fuite lors d’une « permission temporaire » pour blessure. Il a trouvé de l’aide auprès d’un autrichien à Kaprun qui tenait une petite épicerie ( J’aurais aimé connaitre son nom pour le remercier ou du moins remercier sa famille!) qui lui a permis de faire le voyage retour en France. Il n’est jamais reparti. Il est rentré dans la clandestinité. ( Je suis toujours en possession de son Passeport étranger provisoire. Deutches Reich Vorläufiger fremdenpass N° 31224 G 42) et son numéro etait:749