Le Dépôt de Mendicité de Nancy

Famille de mendiants

Famille de mendiants

Pendant l’année 1816, la misère montrait les dents; et , sans beaucoup d’efforts de pensée, on pouvait prévoir la disette calamiteuse de 1817. Les mendiants affluaient dans les rues de Nancy; les enfants de l’âge de 3 à 5 ans, y étaient abandonnés par leurs parents légitimes, qui n’avaient pas le moyen de leur donner du pain. La misère fut bien grande à cette époque; quoiqu’elle ne soit pas tant éloignée de nous, on ne s’en souvient plus guère aujourd’hui.

Un arrêté du préfet de la Meurthe, en date du 29 janvier 1817, indique les préoccupations qu’inspirait à l’administration la misère du peuple, contre laquelle il était difficile de réagir, faute de moyens pécuniaires. Il ne restait au préfet que la voie des moyens palliatifs et anodins, pour calmer, ou les craintes des uns, ou les exigences des autres, exigences qui pouvaient se traduire à un moment donné par des menaces suivies d’exécution.

« Ventre affamé n’a pas d’oreilles », dit le proverbe. En ce temps-là il était applicable. Tous les jours on en avait la preuve, devant les boutiques des boulangers. Les plus terribles révolutionnaires de ce temps-là étaient les pauvres, non pas les pauvres honteux, mais les mendiants, ceux précisément qui étaient les moins pauvres d’entre les pauvres; car à Nancy, la charité s’est toujours manifestée largement.

L’état de mendiant n’y était donc pas mauvais métier, au contraire. Ceux qui s’y livraient étaient nécessairement plus disposés que tous autres à participer aux émeutes populaires. Le préfet prit donc, le 29 janvier 1817, un arrêté dont voici les principales dispositions :

  • Elisabeth de Ranfaing« Un Dépôt de Mendicité sera établi à Nancy dans la maison dite de Secours, sous la surveillance et la direction des sœurs hospitalières de Saint-Charles.
  • « Il sera pourvu à l’entretien et nourriture des pauvres qui y seront admis, par le produit des souscriptions volontaires.
  • « Les maires désigneront des commissaires, pour engager les gens aisés à fournir tous les mois, d’ici au 1er septembre, quelque argent pour subvenir à la nourriture des indigents de la commune.
  • « Si le montant des souscriptions peut couvrir les dépenses présumées, les maires seront autorisés à faire publier pendant trois dimanches consécutifs, qu’un dépôt de mendicité est établi à Nancy; qu’il recevra les pauvres de la commune; qu’en conséquence, il leur est défendu de mendier, et qu’ils doivent se présenter à la Mairie, pour former leur demande en admission au dépôt.
  • « Les pauvres qui, après les trois publications ci-dessus, seront trouvés mendiants, seront arrêtés et renvoyés à leur commune, s’ils l’ont quittée depuis moins de six mois, ou traduits au dépôt de mendicité.

    Maison de Secours2

    Maison de Secours
    angle rue Charles III et rue des Ponts

  • « Il sera procuré de l’ouvrage aux pauvres du dépôt, qui seront en état de travailler : les deux tiers du produit leur appartiendront; un tiers sera tenu à leur disposition, pour leurs besoins journaliers; l’autre tiers sera mis en réserve, pour leur être donné au moment où ils quitteront le dépôt; le troisième tiers appartiendra à l’administration de la maison.
  • « Il sera tous les jours accordé un certain nombre de permissions de sortir, pour ceux qui voudraient chercher du service, ou un travail permanent qui assure leur subsistance au dehors.
  • « Les parents des individus au dépôt pourront venir les voir, moyennant qu’ils en obtiendront, par écrit, la permission d’un commissaire de police.
  • « Lorsque les communes ou les familles des reclus réclameront leur sortie, elle ne sera accordée qu’autant que la preuve sera administrée, qu’il pourra exister désormais au moyen d’un revenu ou d’un travail assuré, sans recourir de nouveau à la mendicité.
  • « Des dépôts de mendicité, semblables à celui de Nancy, pourront être organisés dans les autres arrondissements du département, sur la demande qu’en feront MM. les sous-préfets. » (Meurthe, 2 février 1817.)
Maison de secours de Nancy

Maison de Secours
rue des 4 Églises

 Il est permis de croire qu’un grand nombre de mendiants fut envoyé par les communes du département, et que de nombreux pauvres sollicitèrent leur admission au Dépôt de mendicité; car, pour les y recevoir, le préfet de la Meurthe prit un arrêté, qui réduisit le nombre des malades qui y étaient admis :

  • « M. le préfet du département de la Meurthe, considérant que l’accroissement de la population de la Maison de Secours de cette ville, pourrait devenir funeste pendant les chaleurs de l’été, et élèverait la dépense au-dessus des ressources, a pris un arrêté en date du 29 avril, portant que la population de la Maison de Secours ne pourra excéder 200 malades à la charge du département; qu’en conséquence, il sera fait une revue générale des malades, à l’effet de faire sortir ceux qui ne doivent attendre leur guérison que du temps et de la nature, ainsi que ceux qui pourront se faire traiter, soit dans leurs familles, soit dans les hospices de leurs communes.
  • Salle des maladies vénériennes (hommes)« A l’avenir, nul ne pourra être admis dans la Maison de Secours, s’il n’est pas dans une indigence absolue, domicilié dans le département, et s’il n’est dans l’un des cas ci-après : 1° les vénériens des deux sexes; 2° les filles et femmes enceintes, au dernier mois de leur grossesse jusqu’à leur rétablissement; 3° les sujets attaqués de gale compliquée, de chancres, de cancers, de rage, de cataracte , et ceux dont la situation exigera des amputations ou de grandes opérations.
  • « Les dartreux et les scrofuleux ne seront plus admis, à moins qu’ils ne soient dans l’impuissance de travailler, ou que leur état ne nécessite des pansements fréquents et dispendieux.
  • « Les calculeux continueront d’être traités à l’hospice de Lunéville, fondé par Stanislas le Bienfaisant.
  • « Nul ne sera admis à la Maison de Secours, qu’en vertu d’une autorisation de M. le Préfet, sur le vu d’un certificat du médecin de la maison. » (Meurthe, 2 mai 1817.)

Ces conditions d’admission étaient encore rigoureusement observées en 1843. Depuis cette année, les annuaires ont cessé d’indiquer la destination qu’a la Maison de Secours.

Par ordonnance royale du 16 juillet 1817, la Ville de Nancy fut autorisée à s’imposer extraordinairement, au centime de francs de ses contributions directes de 1817, à la somme de 86.000 fr., pour venir au secours des indigents. Cette contribution, exigible par sixième, de mois en mois, à partir du 1er septembre, fut appelée la taxe des pauvres.

Département de la Meurthe

Département de la Meurthe

Elle eut l’inconvénient d’attirer dans notre ville un grand nombre de mendiants étrangers, même au département. Quoiqu’on ait établi des ateliers de charité sur différents points de la ville, le nombre des mendiants augmentait sans cesse. Le préfet dut prendre de nouveaux arrêtés et sévir avec rigueur. Celui qui est daté du 1er septembre contient les dispositions suivantes :

  • « Il est expressément défendu à tout individu non domicilié à Nancy, ou à défaut de tout domicile, qui n’y serait pas né, de mendier dans les rues, places, halles, marchés, faubourgs et banlieues de la ville de Nancy.
  • « Les pauvres nés ou domiciliés à Nancy, ne pourront y mendier qu’avec une autorisation spéciale. Cette autorisation sera essentiellement temporaire.
  • « Les individus étrangers à la ville et au département qui seraient trouvés à mendier 24 heures après la publication du présent, seront arrêtés et traduit immédiatement devant le Procureur du Roi.
  • Gendarme« Tout mendiant, étranger au département, ou étranger seulement à la ville de Nancy, qui sera déposé ou détenu dans une des maisons de détention ou d’arrêt de ladite ville, soit pour subir sa peine, soit en attendant la correspondance de gendarmerie, pour être reconduit dans sa commune, ne recevra pour toute nourriture que le pain et l’eau; la ration de pain ne pourra excéder 75 décagrammes (une livre et demie.)
  • « Aucun pauvre valide, ni aucun enfant, ne sera autorisé à mendier : les pauvres invalides, soit à raison de leur grand âge, soit à raison de leurs infirmités, seront seuls autorisés à mendier.
  • « Les pauvres autorisés à mendier ne pourront le faire, que dans les quartiers qui leur seront assignés par le bureau de charité, sous peine d’être traités comme mendiants vagabonds, lorsqu’ils s’éloigneront de l’enceinte qui leur est tracée.
  • « Tout individu qui serait trouvé de jour ou de nuit, sonnant ou frappant aux portes des particuliers pour mendier, serait arrêté ou conduit devant M. le Procureur du Roi, pour être poursuivi et traité comme ayant, sous le prétexte de mendier, cherché à s’introduire dans le domicile des citoyens pour le voler.
  • « Si cet individu est autorisé à mendier, il sera, en outre, rayé du tableau des mendiants et privé des secours publics.
  • « Tout pauvre reconnu susceptible de recevoir, soit les secours, soit la permission de mendier, sera privé de l’un et de l’autre, si, ayant des enfants de l’âge de 7 à 12 ans, il ne les envoie pas fréquenter les écoles publiques et gratuites, qui leur seront indiquées par le bureau de charité et si ces enfants n’y restent pas pendant toute la durée des classes. »

Le mendiantCet arrêté très sévère fut quelque peu mitigé à l’égard des mendiants étrangers, par celui du 3 septembre 1817 ainsi conçu :

  • « Il est ordonné à tous mendiants et vagabonds étrangers au département de la Meurthe d’en sortir avant le 1er octobre 1817.
  • « Après la même époque, aucun individu appartenant au département, ne pourra mendier hors du canton de sa résidence, ou de son domicile de secours.
  • « Tout mendiant ou vagabond, qui contreviendra aux dispositions précédentes sera arrêté et traduit devant les tribunaux. »

Sources : « Les Rues de Nancy du XVIe siècle à nos jours », par Ch. Courbe – Imprimerie Lorraine, 5 rue du Crosne – 1886.
et
« Du Refuge à la Maison de Secours – 1624-1914 – Histoire de la Clinique de Dermatologie » par L. Spillmann et J. Benech – Imprimerie Réunies de Nancy – 1914.

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